Interview de Bruno Crastes, Fondateur de H2O AM par Quantalys

Publié le 21/06/2019 - Alexandre Prat
« Pas de problèmes de liquidité dans l’immédiat »

Une recherche du rendement à tout prix

Les banques centrales ont bel et bien relancé l’économie ces dernières années par une baisse continuelle des taux. Elles restent par ailleurs à la manœuvre à l’instar de la BCE qui a réaffirmé le 18 juin dernier une potentielle intervention si les objectifs d’inflation n’étaient pas atteints. Puisque les liquidités affluent, les rendements baissent à des niveaux historiques (le rendement de l'emprunt d'état Français à 10 ans est à 0% aujourd'hui), obligeant les investisseurs à s’orienter vers des marchés moins liquides pour capter des rendements intéressants. La question se pose donc des risques embarqués par les différents produits financiers, notamment le risque d’illiquidité.

Une tempête dans un verre d’eau ?

A ce sujet, le Financial Times a publié via son blog Alphaville un article soulignant le caractère illiquide des fonds  gérés par H2O AM, société de gestion qui a mis la liquidité au coeur de sa stratégie et de son image. L’article attire l’attention sur les investissements réalisés dans des placements privés par Bruno Crastes et ses équipes. Il note également un potentiel conflit d’intérêt entre Bruno Crastes et Tennor Holding, la société financière de Lars Windhorst. La société de gestion s’est donc défendue dans un communiqué de presse insistant sur le fait que ces investissements ne représentent que « 5% de l’actif net pour les produits les plus défensifs et autour de 10% pour les produits avec des budgets de risques plus significatifs ». Cette poche est par ailleurs présentée comme une stratégie de diversification et rentre dans la stratégie d’investissement des fonds. Natixis, qui détient 49,99% du capital de H2O AM, a de son côté communiqué après avoir vu son cours de bourse chuté de près de 15% sur deux jours et a demandé à Bruno Crastes de quitter le conseil consultatif mis en place par Tennor Holding.

Un échange direct avec Bruno Crastes

En tant qu'agence de notation indépendante sur les fonds, nous avons échangé directement avec Bruno Crastes afin d’obtenir sa vision. Celui-ci a souligné l’intérêt des « obligations illiquides bien calibrées » dans ses fonds par rapport « aux obligations classiques présentant une fausse liquidité ». Il n’y a donc, selon lui, « pas de problèmes de liquidité dans l’immédiat pour nos fonds ». Il assure « être en capacité de faire face à des sorties de l'ordre de 1 à 2 milliards d’euros par jour». Toujours selon lui, « les sorties sur les obligations illiquides seraient donc dans ce cas de l’ordre de 40 à 50 millions d’euros par jour soit un niveau acceptable par le marché et par des investisseurs institutionnels en particulier ». En ce qui concerne l’impact sur les performances, il reconnait « qu’à très court terme les sorties et le mécanisme de swing factor peuvent peser négativement sur la performance ». En revanche, à moyen terme, il reste persuadé que les performances resteront positives. Finalement, au sujet des accusations de conflits d’intérêts, Bruno Crastes explique que le conseil consultatif et sa nomination à ce conseil devait permettre de surveiller de près les investissements effectués par H2O AM par l’intermédiaire de Tennor Holding et donc « de défendre les intérêts des investisseurs dans les fonds H2O ».

Le point de vue de Quantalys

Il est important de rappeler que ce sujet arrive dans des conditions normales de marché et qu’il n’y a pas de risque systémique pour le moment. Il ne s’agit que d’un sujet micro-économique lié à une société de gestion. Ce sujet vient rappeler l’importance de la bonne adéquation des actifs avec les passifs des investisseurs et d’autre part la vigilance des conseillers financiers à respecter les objectifs et contraintes de risques des clients finaux. Notons que H2O AM développe des produits plus risqués que leur catégorie. (cf. ci-dessous.)

Cet évènement vient également rappeler l’importance de la diversification d’un portefeuille de fonds de fonds à partir de plusieurs gérants. D’autres sociétés ont déjà été la cible de retrait massif sur courtes périodes à l’image de GAM Asset Management (baisse de 2 milliards sur le premier trimestre 2019) ou encore Carmignac (baisse de 10 milliards sur le fonds Carmignac Patrimoine sur quelques mois).

Fort de ces deux constats nous vous conseillons de contrôler vos expositions grâce aux outils Quantalys afin d’éviter une position excessive sur un gérant en particulier.

Finalement, nous rappelons que nos notations quantitatives des fonds H2O basée sur des éléments historiques sont maintenues. Elles doivent être complétées par une analyse qualitative et une vision globale du portefeuille dans un cas aussi spécifique que celui-ci.

Alexandre Prat est analyste chez Quantalys.