Rationnement des Biens, Profusion de Liquidités : Le parfait cocktail pour un retour de l’inflation ? Le point de vue des gérants et stratèges

Publié le 04/05/2020 - Jean-François Bay
Devinette : Quelle est l’une des stratégies obligataires qui a délivré la meilleure performance depuis le début de l’année 2020 ?

Eh bien il s’agit de la catégorie Obligations Monde indexée sur l’inflation. Est à dire que l’inflation est de retour en ce moment ? Pas vraiment. D’après les dernières prévisions du FMI le monde va subir le pire choc économique mondial depuis 1945 avec une contraction de l’économie mondiale de -3% cette année. Et les conséquences sur le chômage seront fortes. Rien qu’aux USA, le Congrès américain prévoit que le chômage, qui était de 3,8 % au premier trimestre 2020, sera de 14 % au deuxième trimestre et de 16 % au troisième. Difficile dans ces conditions d’imaginer un emballement des salaires et donc de l’inflation !

En Europe, Eurostat vient de dévoiler aujourd’hui les statistiques européennes du premier trimestre 2020. Rien que sur les trois premiers mois de l'année, le PIB des 19 pays de la zone euro a chuté de 3,8%. En France, les deux premières semaines de confinement ont suffi à plonger le pays dans la récession, avec une contraction historique du PIB de 5,8% au premier trimestre. Le FMI de son côté s'attend à une chute de -7,5% du PIB sur l’ensemble de l’année 2020 en zone euro. Et les mesures de confinement contre le coronavirus ont eu un impact sur l'inflation qui a de nouveau ralenti en avril 2020 à 0,4% en rythme annuel contre 0.7% en mars. Autant dire 0%, donc pas d’inflation ! Donc l’inflation n’est pas dans les chiffres mais dans les têtes !

En effet, si la classe d’actifs est subitement recherchée, ce n’est donc pas lié à la situation actuelle mais peut-être aux anticipations d’inflation dans le futur par les agents économiques. Et si tout le monde anticipe un retour de l’inflation, de manière fondée ou pas, alors tout le monde achète des actifs qui protègent en cas de hause de l’inflation, comme les obligations indexées, et donc la classe d’actifs performe. Nous avons donc voulu en savoir plus auprès de certains stratèges et économistes, savoir si ces anticipations sont fondées (ou s’il s’agit d’une bulle ou d’une exagération passagère) et, si elles sont fondées, d’identifier les meilleures stratégies pour transformer un risque potentiel en opportunités d’investissement.


 

L’inflation : Le poison du consommateur et de l’investisseur

L’inflation correspond à la situation de hausse généralisée et durable des prix des biens et des services. Cette situation correspond donc à une baisse du pouvoir d’achat pour le consommateur à revenu équivalent ou à somme d’argent équivalent. Avec la même somme d’argent, le consommateur pourra s’acheter moins de choses qu’auparavant (sauf si son revenu augmente d’autant). Par exemple, si un consommateur ne dispose que de 1 euro et que le prix de la baguette de pain monte de 10% sur une période, ce même consommateur ne pourra plus s’acheter que 9/10 d’une baguette et devra donc demander au boulanger d’en couper 1/10. Pour des produits de consommation de première nécessité comme le blé, le riz ou le pain, l’inflation et la diminution du pouvoir d’achat qui en résulte peuvent donc être dramatiques parfois.

Comme la définition de l’épargne correspond à la partie du revenu d'un ménage qui n'est pas affecté à la consommation, l’épargnant qui accepte de ne pas utiliser ses capitaux tout de suite pour consommer accepte donc implicitement de retrouver son pouvoir d’achat à l’identique le jour où il décidera d’utiliser son épargne pour consommer. Le rendement de son épargne, sur la période concernée, devra donc au minimum compenser l’inflation sur la durée au risque de voir son pouvoir d’achat diminuer. Reprenons l’exemple de la baguette : Si le consommateur se transforme en épargnant et épargne 1 euro sur une période, et que le prix de la baguette monte de 10%, il veut que son épargne augmente au minimum de 10% afin de pouvoir se payer au minimum une baguette à la sortie, voire plus.

Une inflation trop forte trop vite entraine une incertitude forte sur les prix futurs et les agents économiques n’ont pas le temps de s’adapter. Les salaires ou les retraites ne suivent pas et pénalisent les ménages qui subissent une perte de pouvoir d’achat forte. Cela pénalise aussi les investisseurs, notamment ceux qui ont prêté à taux fixe, les rentiers et les créanciers mais favorise les emprunteurs (surtout, dans le sens inverse, ceux qui ont emprunté à taux fixe).

Une déflation provoque des réactions attentistes de la part des agents économiques qui se révèlent particulièrement néfastes pour l'économie. L’apparent avantage qu’il procure aux ménages grâce à un gain de pouvoir d'achat à court terme (par exemple en restant confiné sans consommer et avec des prix qui ont tendance à baisser) n’est qu’illusoire. La déflation est en fait très difficile à combattre par les autorités monétaires car elle se nourrit des anticipations auto-réalisatrices des agents économiques : tant que ceux-ci pensent que le phénomène de baisse des prix généralisée va se poursuivre, ils adopteront toujours le même comportement attentiste qui est à l'origine d’une trappe à la déflation néfaste à la croissance économique.

Donc, c’est ce qui explique qu’une hausse régulière mais modérée du niveau général des prix est l’objectif principal des politiques monétaires conduites par les grandes banques centrales. A ce titre, une progression de l’inflation de l’ordre de 2 % par an est considérée par la BCE comme une cible qui semble optimale :

  • Cela permet aux agents économiques, entreprises et commerçants notamment, d’ancrer leurs anticipations de hausses des prix à moyen et long terme.
  • Cela incite par ailleurs les agents économiques à investir plutôt qu’à thésauriser ou à conserver leurs liquidités sur des comptes bancaires.
  • Cette stabilité et visibilité permet également de conserver les taux d’intérêt à des niveaux peu élevés et donc aux agents économiques de faire appel au crédit à des conditions financières incitatives, et donc c’est favorable pour la croissance

Un risque de déflation plus que d’inflation

Nicolas Goetzmann, responsable de la recherche et de la stratégie macroéconomique à la Financière de la Cité, fait plutôt le pari d’un retour de la déflation. Pour lui, c’est donc la désinflation et la déflation qui sont pressenties comme les plus grandes menaces pour notre économie, et c’est justement ce que tentent d’éviter les Banques centrales par leur action de création monétaire. L’objectif n’est pas de provoquer de l’inflation mais d’éviter une déflation qui serait synonyme de dépression. Selon lui, la situation actuelle ressemble bien plus à celle des années 30 qu’à celle des années 70 : Chômage en hausse et endettement en hausse sont les signes d’une crise de nature déflationniste.

Pas de retour de l’inflation à court terme mais à moyen terme

Dans sa dernière note consacrée à ce thème, CPR Asset Management indique que même si le choc sur la demande devrait se concrétiser à court terme par un mouvement plutôt de ralentissement de l’inflation, le scénario d’un retour de l’inflation à plus long terme n’est pas négligeable.

Il convient de noter que même à court terme, les impacts sont plus diffus. Une apparente faible inflation cache en fait de fortes disparités selon les secteurs et les facteurs. En effet, sur le mois d’avril, les prix à la consommation augmentent de +0,1%, comme en mars, avec un net rebond des produits alimentaires d’un côté, surtout des produits frais. En revanche, les prix de l’énergie baissent davantage, dans le sillage des cours des produits pétroliers.



 

6 facteurs peuvent déclencher des poussées inflationnistes à plus long terme :

  1. LE PETROLE : Comme ce fut le cas en 2009, il est probable que les prix du pétrole remontent rapidement, une fois que l’activité reprendra.
  2. LA REINDUSTRIALISATION : Par ailleurs, comme l’indique CPR « la crise sanitaire a mis en avant les effets néfastes de la désindustrialisation qui a touché les Etats-Unis et la plupart des pays européens au cours des dernières décennies ».
  3. LA REVALORISATION DU TRAVAIL : La crise du coronavirus a mis en avant également un certain nombre de besoins essentiels pour la société (santé, consommation alimentaire, transports…) souvent produits par des catégories de personnels peu payées et particulièrement sollicitées dans la période actuelle.
  4. LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT : Les mesures en faveur de l’environnement et du climat se retrouve tôt ou tard dans le prix des biens et des services. Consommer et produire local est meilleur pour la planète et pour le tissu économique local mais engendrera une hausse des prix. Dans le dernier rapport de Davos « World Economic Forum 2020 Global Risk Report » les coûts associés à la lutte contre les changements climatiques vont être élevés.
  5. LE DEVELOPPEMENT DES PAYS EMERGENTS : Selon le rapport de la Banque mondiale intitulé « Inflation in Emerging and Developing Economies: Evolution, Drivers, and Policies », le développement des classes moyennes dans les pays émergents, la hausse des salaires et des prestations sociales tend à engendrer une hausse des coûts et donc des effets inflationnistes
  6. LA DIGITALISATION : Dans un rapport sorti en décembre 2019 intitulé « Is Digitalization Driving Domestic Inflation? » le FMI estime que la digitalisation a des effets négatifs sur l'inflation à court terme dans les pays émergents mais permet également aux pays développés à relocaliser une partie de la production autrefois délocalisée. On assiste donc à une montée des investissements (robots…) une montée en gamme des produits et services et donc un effet inflationniste parfois dans ces zones.

Pour caricaturer, on pourrait faire le constat qu’il risque d’y avoir d’un côté trop de liquidités et de capital en circulation dans l’économie, et donc une baisse du rendement du capital, voire des rendements négatifs (même sur le marché des Actions ou sur le marché Immobilier, la pression est forte pour annuler le paiement des dividendes ou des loyers). A l’inverse, on pressent une revalorisation de certains biens et services qui semblent parfois rationnés (masques, tests, médicaments, farine, pâtes, aliments de première nécessité, accès à Internet, matériel informatique, transports…).

Christophe Morel, Chef économiste chez Groupama Asset Management, fait lui la distinction entre 3 périodes de temps dans la crise :

  • A court terme, plutôt une désinflation en raison de la contraction de l’économie
  • A moyen terme, une inflation contenue car la crise est plutôt un choc de demande (pas assez de consommation) plus qu’un choc d’offre (surabondance de la production). Un taux de chômage élevé et une hausse des taux de défaut devraient rester déflationnistes
  • A plus long terme, un retour de l’inflation est possible dans trois cas de figure :
    • Des positions oligopolistiques sur certains secteurs
    • Des renationalisations de la chaîne de production qui engendreront une hausse des prix
    • Des confinements prolongés de certains territoires ou de certains pays

Donc les économistes sont d’accord pour considérer qu’il n’y aura pas de retour à l’inflation à court et moyen terme en raison d’un engrenage hausse des prix des produits / hausse des salaires. Mais est-ce que l’inflation ne peut-elle pas venir d’une injection massive de liquidités qui se retrouverait dans l’économie réelle et entrainerait une bulle des prix des produits ?

L’inflation des actifs financiers et du capital plus que de l’économie réelle et du travail

Jean-Hervé Lorenzi, Président du Cercle des économistes, évoquait ce sujet dans les Echos du 29 avril « d'inspiration monétariste ». Tirant les leçons des crises de 2008 et de 2012, les Banques centrales du monde entier, Réserve fédérale américaine (Fed) et Banque centrale européenne (BCE) en tête, ont été plus réactives que jamais. Gilles Moëc, chef économiste du groupe AXA considère que les marges de manœuvre sont étroites entre « donner suffisamment de marge aux Etats pour qu'ils n'aient pas à mettre en œuvre des politiques d'austérité destructrices et éviter de donner le sentiment qu'il existe une solution magique » reposant sur la création monétaire ou « l’helicopter money » et ses effets inflationnistes. Mais, ces dernières années, la corrélation entre injections massives de liquidités et inflation est quasi-nul. D’abord parce qu’en période d’incertitude, la demande de monnaie pour des motifs de précaution est forte, annulant les effets monétaires de multiplication de la monnaie voulus par les Banques centrales. Ensuite, parce qu’une partie de ces liquidités additionnelles ne soutiennent pas l’économie réelle mais se retrouvent plutôt sur les marchés financiers, alimentant les bulles, donc l’inflation des prix des actifs financiers. C’est déjà ce qui s’est passé après la crise de 2000 et de 2008. Le célèbre effet « pompier-pyromane » déclenché par les Banques centrales.

D’un côté, on assiste à une envolée des liquidités et du capital en raison des injections des banques centrales. On voit également une flambée des liquidités chez les ménages avec la volonté d’augmenter la part du revenu disponible consacrée à l’épargne de précaution dans un environnement de rendements bas voire négatifs. Par exemple, les encours du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire (LDDS) ont augmenté de 50 % entre mars 2019 et mars 2020 a déclaré Bruno Le Maire mi-avril. Dans l’ensemble, le taux d’épargne des Français serait passé à 37% durant le confinement contre 15% habituellement.

De l’autre, les économistes anticipent un contexte récessif voire dépressif qui va engendrer une baisse ou une pression des revenus des ménages (qui devraient plus épargner comme évoqué précédemment).

La résultante ne donne sans doute pas une montée de l’inflation à court terme mais une nécessaire réorientation des priorités et donc un impact divergent selon les secteurs : Une réorientation inflationniste en faveur des besoins essentiels selon la célèbre pyramide de Maslow (santé, alimentation, tech, accès à Internet …) et de l’autre une pression déflationniste par ricochet sur les besoins secondaires (loisirs, tourisme, art, culture…). Assiste-t-on à une inversion durable ou juste conjoncturelle des valeurs et de la consommation constatée depuis 30 ans ? Ou à une sorte de conflit de génération entre la santé et le bien-être des seniors contre l’épanouissement et l’éducation des juniors ?

Un conflit entre Capital et Travail, donc nécessairement entre générations :

Le thème de l’inflation sur le prix des actifs est justement un thème générationnel. Comme l’indique Nicolas Goetzmann, de la Financière de la Cité, les détenteurs d’actifs, donc les seniors, ont intérêt à une tendance désinflationniste. Dans de telles conditions, les prix de ces actifs progressent. Dans le même temps, la désinflation est le témoin de la pression à la baisse sur les salaires, dans un environnement concurrentiel mondial et donc sur les prix. Donc, dès lors que l’inflation est maîtrisée, le processus conduit à un effet ciseau : La valeur du capital (et en particulier des actifs corrélés à l’inflation comme l’immobilier ou les actions) progresse plus que l’inflation tandis que la valeur travail à tendance à s’éroder avec le temps. La progression des inégalités au sein des pays occidentaux est en grande partie le résultat de ce processus. La limite de ce phénomène est principalement politique, parce qu’un système qui ne profite qu’à une minorité tend à s’autodétruire.

Le Financial Times indiquait dans un article du 16 avril (« The pandemic and the radical change in wealth distribution to come ») que « La redistribution sera à nouveau à l'ordre du jour les privilèges des personnes âgées et riches seront remis en question. Les politiques jusqu'à récemment considérées comme excentriques, telles que le revenu de base et l’impôt sur la fortune, devront être employées ».



 

C’est justement ce que préconise aujourd’hui le FMI dans son dernier rapport annuel sur les finances publiques de « taxer à hauteur de 10% l'épargne privée, plutôt entre les mains des seniors, pour solder les dettes nationales » (https://www.imf.org/fr/Publications/FM/Issues/2020/04/06/fiscal-monitor-april-2020). Pour Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, "en théorie c'est possible, mais notre rôle est de faire en sorte que cela n'arrive jamais", disait-il au printemps dernier. Il est vrai que les pouvoirs publics ont plutôt pour mission de rassurer les épargnants, surtout en période de crise.

Que pouvez-vous faire dans ces conditions ? L’article du FT termine par un conseil de bon sens que nous partageons « Diversifiez au maximum vos sources de revenus : dividendes, coupons, loyers, salaires… » Et diversifiez vos allocations au maximum pour qu’elles intègrent ce risque inflationniste même si, aujourd’hui, il semble faible !

Quelles classes d’actifs et quels fonds ou ETF pour couvrir ce risque d’inflation ?

4 grandes classes d’actifs permettent aux investisseurs, sur le long terme, de protéger leurs capitaux contre une montée de l’inflation :

  1. Les actions internationales car, sur le long terme, la croissance de la valeur des sociétés et des dividendes est liée à la croissance économique mondiale et donc à l’inflation (contrairement aux obligations à taux fixe). “Acheter des actions offre aux investisseurs une bonne garantie contre l’érosion de la valeur de leurs avoirs liée à l’inflation”, relève Frédéric Rollin de chez PICTET. Attention, à court terme, le marché des actions reste un placement très procyclique et très risqué (volatilité, perte maximum…).
  2. L’or et les matières premières. C’est logique, l’évolution du prix des matières premières (pétrole, acier, blé…) rentre dans le calcul de l’inflation. Pour l’Or, il s’agit moins d’une couverture contre l’inflation mais plus contre une dévaluation des monnaies. Comme pour les Actions, cette classe d’actifs reste un placement très procyclique et très risqué
    Nous avons évoqué ce thème dans un article récemment : https://www.quantalys.com/Article/Consultation/13111
  3. L’immobilier parce que les prix des loyers sont indexés sur l’inflation. Nous vous invitons à relire l’article sur le marché immobilier dans la crise : https://www.quantalys.com/Article/Consultation/13105
  4. Les obligations indexées sur l’inflation. Indexées car les coupons et le prix de remboursement sont réévalués régulièrement pour tenir compte de la hausse de l'indice des prix depuis l’émission. En revanche, évitez les obligations classiques à taux fixes qui pâtiront de la remontée des taux d’intérêt.

Les obligations indexées sur l’inflation offrent non seulement la possibilité de mettre en place ou de renforcer une couverture contre une accélération de l’inflation, mais peuvent aussi constituer un moyen efficace de se diversifier par rapport aux actions et obligations classiques. Voici quelques fonds investis en Obligations Monde indexées inflation :

 

Jean-François Bay , Directeur Général, Développement international.