Fin des rétrocessions en 2012 au Royaume-Uni

Publié le 31/03/2010 - Philippe Maupas
Une révolution en matière de rémunération des intermédiaires financiers se prépare au Royaume-Uni

La Financial Services Authority (FSA), le régulateur de tous les services financiers au Royaume-Uni, vient de publier des règles qui s’appliqueront à partir du 1er janvier 2013 et qui vont révolutionner le paysage de la distribution de produits d’investissement destinés à des clients privés par les conseillers financiers.

En effet, la Retail Distribution Review (RDR) a pour objectif de fournir à l’investisseur une information détaillée sur le coût et la nature du conseil fourni par son intermédiaire. A partir de la fin 2012, ce conseil devra être facturé explicitement à l’investisseur, plutôt que prendre la forme de rétrocessions de frais (de souscription ou de gestion) de la part des fournisseurs de produits aux intermédiaires. La FSA estime qu’en interdisant les rétrocessions, le biais lié à la perception de ces rétrocessions, qui pourrait inciter le distributeur à conseiller les produits sur lesquels sa rétrocession est la plus élevée, disparaîtra.

Deux types de services en matière de conseil

Les distributeurs de produits financiers devront choisir d’appartenir à une de deux catégories : conseil indépendant ("independent advice") ou conseil restreint ("restricted advice").

Pour intégrer la catégorie des fournisseurs d’un conseil indépendant, les conseillers financiers devront faire des recommandations basées sur une analyse exhaustive des possibilités d’investissement et fournir un conseil impartial et non restreint à certains produits seulement.

Les intermédiaires ne fournissant pas un conseil indépendant seront donc dans la catégorie conseil restreint. Il s’agit de structures liées à un ou plusieurs fournisseurs de produits financiers et n’offrant donc pas accès à la totalité des fournisseurs susceptibles de répondre au besoin de leur client privé.

Interdiction des rétrocessions

Une rétrocession est un versement par le fournisseur de produits d’investissement à l’intermédiaire d’une partie des frais payés par l’investisseur (commission de souscription ou frais de gestion). Ce mode de rémunération est usuel au Royaume-Uni, ainsi qu’en France. La fixation du taux de rémunération résulte d’une négociation entre le fournisseur de produits d’investissement et l’intermédiaire, et pas entre l’intermédiaire et son client investisseur privé.

La RDR met fin à cette pratique, qui sera interdite à compter de fin 2012. Les intermédiaires gérant des clients privés devront facturer des honoraires de conseil à ces derniers ("Adviser Charging"). La rémunération de l’intermédiaire sera donc discutée entre l’intermédiaire et le client privé. Ces honoraires ont vocation à refléter et rémunérer le service rendu par le conseiller et ne plus dépendre du produit conseillé. La FSA insiste pour que les honoraires ne varient pas pour des raisons inappropriées.

Les discussions avec les organisations professionnelles ne sont pas terminées, et la FSA fournit quelques pistes de réflexion sur les différentes voies possibles pour facturer des honoraires : facturation forfaitaire en fonction des prestations ou facturation proportionnelle au montant investi ou à la valeur du portefeuille ; facturation d'honoraires pour le diagnostic initial, avant qu'une recommendation de produit soit formulée.

La FSA stipule que les honoraires récurrents ("ongoing charges") ne peuvent être facturés que pour rémunérer un service rendu dans la durée ("ongoing service"), comme par exemple un suivi régulier de la performance du portefeuille.

On retrouve ici une préoccupation exprimée par les rédacteurs d'un récent rapport de l'Inspection des Finances ("Les frais prélevés sur les produits financiers bénéficiant d'un avantage fiscal pour favoriser l'investissement dans les PME", Octobre 2009, cliquer ici pour y accéder sur le site de la Documentation Française) dans lequel la légitimité des rétrocessions sur frais de gestion des FPCI, FCPR ou FIP aux intermédiaires était questionnée ("les frais de distribution paraissent excessifs en raison des rétrocessions annuelles qui ne sont justifiées ni sur le plan économique ni sur le plan juridique"), dans la mesure où aucun suivi n'était effectué après la souscription.

Rétablir la confiance des investisseurs

La FSA indique que les investisseurs doivent être convaincus de ce que leur conseiller agit au mieux de leurs intérêts, afin que le marché survive et prospère dans le futur. La RDR a pour objectif d'aider à rétablir la confiance dans le marché de la distribution des produits d'investissement aux investisseurs privés en supprimant tout biais lié aux rétrocessions, qu'il soit réel ou seulement perçu.

Par ailleurs, la FSA veut mettre fin au mythe de la gratuité du conseil en investissement : il lui semble essentiel que les consommateurs connaissent non seulement le coût du conseil, mais également sa valeur.

La FSA a chiffré le coût de la suppression des rétrocessions et arrive aux montants suivants pour les 5 premières années : 605 à 750 millions de livres (680 à 845 millions d'euros) pour les coûts non récurrents (investissements nécessaires à la mise en conformité des acteurs : intermédiaires et fournisseurs de produits d'investissement) et 305 à 370 millions de livres (340 à 415 millions d'euros) par an pour les coûts récurrents.

La FSA attend bien entendu de cette réforme des bénéfices importants pour les consommateurs : élimination des différents biais dans la commercialisation de produits d'investissement conduisant au "misselling" (vente de produits d'investissement non appropriés, le Royaume-Uni ayant connu quelques scandales retentissants depuis une dizaine d'années, que la France n'a pas connus à telle échelle).

Une source d'inspiration pour d'autres pays européens ?

Le modèle de la rétrocession est usuel dans la plupart des pays européens, France comprise. Dans notre pays, les intermédiaires indépendants ont l'obligation de mentionner explicitement l'existence de ce mode de rémunération à leurs clients depuis quelques années.

Différentes enquêtes auprès des professionnels de la gestion de patrimoine en France montrent la faible part représentée par les honoraires dans leurs revenus, et il est usuel d'affirmer que les investisseurs français ne sont pas prêts à payer des honoraires pour le conseil financier.

Il nous semble indéniable que le conseil financier a une valeur, comme toute prestation intellectuelle, et qu'il serait souhaitable qu'à cette valeur corresponde un coût explicite pour son bénéficiaire, le client conseillé. Par ailleurs, l'existence de rétrocessions négociées entre l'intermédiaire et le fournisseur de produits d'investissement crée une suspicion de conflit d'intérêt pour l'intermédiaire, qui bénéficie de la rétrocession et qui pourrait être tenté de favoriser un produit en raison du niveau de rétrocession. Même s'il fait son travail de façon impartial et défend les intérêts de son client, le conseiller aura toujours cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête.

Si une réforme aussi radicale que celle que prépare la FSA au Royaume-Uni semble improbable dans un futur proche en France, la distribution de produits financiers n'échappera pas à une transparence accrue, notamment en matière de rémunération, et une des manières de se préparer à cette évolution inéluctable est de développer la facturation d'honoraires, afin d'assigner une valeur tangible à la prestation de conseils financiers.

Philippe Maupas , CFA, CAIA, CIPM, est co-fondateur de Quantalys et éditorialiste.