OPCVM de fonds alternatifs : la liquidité mise à mal

Publié le 28/11/2008 - Philippe Maupas
Face à la crise des marchés, l'AMF aménage son règlement

L'AMF (Autorité des Marchés Financiers, l'autorité de tutelle des sociétés de gestion domiciliées en France) avait modifié son règlement en 2004 en y introduisant les fonds ARIA (à règles d'investissement allégées), permettant de fait la création de fonds de gestion alternative de droit français pouvant être distribués autrement que sous le manteau (ce qui était, et est toujours, le régime des FCIMT, qui interviennent sur les marchés de futures).

3 catégories de fonds ARIA avaient été créées : les fonds ARIA simples et les fonds ARIA à effet de levier, permettant la mise en oeuvre de la gestion alternative directe au sein d'un fonds d'une part ; et les OPCVM de fonds alternatifs, investis dans différents fonds appliquant différentes stratégies d'autre part.

Les ARIA simples et les ARIA à effet de levier sont réservés aux investisseurs qualifiés (l'éligibilité dépendant de critères financiers et/ou de compétence professionnelle). Les OPCVM de fonds alternatifs peuvent être achetés par des investisseurs privés non qualifiés, sous réserve d'un montant minimal de souscription de 10 000 euros (à l'exception des contrats d'assurance vie référençant des fonds de multigestion alternative et permettant aux assurés d'investir sans respecter le montant minimum de 10 000 euros, puisque c'est juridiquement l'assureur - investisseur qualifié - qui est propriétaire des parts dans un contrat, et pas l'assuré).

Liquidité des OPCVM de gestion alternative : souvent assurée mais fragile

Certains OPCVM de fonds alternatifs offraient une valorisation et une liquidité quotidiennes : en d'autres termes, ces fonds avaient une valeur liquidative quotidienne et permettaient des souscriptions et des rachats quotidiens et sans préavis. Ce sont ces fonds que certains assureurs avaient référencés dans certains contrats d'assurance vie, pensant, à juste titre, qu'ils avaient des vertus intéressantes : objectif de performance positive quelle que soit l'orientation des marchés, réduction du risque d'un portefeuille diversifié. Quand on ajoute une liquidité quotidienne.

La liquidité des OPCVM de fonds alternatifs (à savoir la capacité pour la société de gestion à faire face sans problème aux souscriptions et aux rachats des porteurs de parts) était assurée, bien que celle de certains des fonds sous-jacents (ceux dans lesquels l'OPCVM de fonds alternatifs était lui-même investi) puisse être bien moindre. En effet, de nombreux fonds de gestion alternative sous-jacents investissant dans des actifs très peu liquides, leur propre liquidité était adaptée à cette contrainte : ainsi, il est usuel d'assurer une liquidité mensuelle ou trimestrielle aux investisseurs, avec un préavis pouvant aller jusqu'à 90 jours. Le fonds a ainsi le temps de réaliser certains actifs au meilleur prix, afin de respecter l'égalité de traitement des porteurs de parts. Assurer une liquidité quotidienne pénaliserait en effet les investisseurs de long terme par rapport aux investisseurs de court terme.

L'impact dévastateur de la crise boursière

L'édifice structurellement fragile de certains OPCVM de fonds alternatifs de droit français s'est effondré sous l'effet de la crise boursière, qui est avant tout une crise d'illiquidité. Certains fonds sous-jacents ont connu leur lot de problèmes : liquidation dans le pire des cas (auquel cas les investisseurs - dont les OPCVM de fonds alternatifs - doivent attendre parfois plusieurs mois pour récupérer leurs avoirs), baisse importante de la valeur liquidative, activation de clauses d'échelonnement des rachats prévues dans le prospectus ou le règlement du fonds ("gates" dans le jargon), cantonnement de certains actifs illiquides dans des "side-pockets" ou encore espacement de la fréquence de publications des valeurs liquidatives. Certains OPCVM de fonds alternatifs de droit français se retrouvaient dans la situation très inconfortable de devoir assurer une liquidité quotidienne alors que les fonds sous-jacents étaient devenus très peu liquides.

Résultat : l'AMF, alertée le 16 octobre 2008 par un courrier de l'Association Français de Gestion (l'organisation professionnelle représentative de l'industrie française de la gestion d'actifs financiers), a consenti à un aménagement exceptionnellement rapide (puisque le code monétaire et financier était amendé par l'ordonnance du 23 octobre 2008 et son décret d'application) et provisoire (3 mois, "dès l'entrée en vigueur des modifications du code monétaire et financier autorisant les gates dans les OPCVM", à savoir le 23 octobre 2008) de son règlement.

Dès lors que les sociétés de gestion d'OPCVM de fonds alternatifs "estiment que la préservation de l’égalité et de l’intérêt des porteurs de parts des OPCVM de fonds alternatifs le commande", elles sont autorisées à réduire la fréquence des valeurs liquidatives et à augmenter le délai de règlement dans les limites réglementaires (à savoir une fréquence au moins mensuelle pour la valeur liquidative et dans le cas d'une fréquence mensuelle, un délai entre la date de centralisation des ordres et celle du règlement d'au plus 60 jours). Les sociétés de gestion sont également autorisées à fractionner les rachats au-delà d'un certain seuil (les "gates" dont il a été question au-dessus).

L'opportunité de prendre de telles mesures est donc laissée à l'appréciation des sociétés de gestion et répond au louable objectif de préserver l'égalité et l'intérêt des porteurs de parts.

Quelques exemples

Prenons l'exemple de W Finance Arbitrage, un OPCVM de fonds alternatif géré par Allianz Alternative Asset Management, présent dans certains contrats d'assurance vie. Le prospectus de ce fonds a été mis à jour en date du 10 novembre 2008. On trouve en page 9 une description du mécanisme de "gates" : "La société de gestion a mis en place un mécanisme d’échelonnement des rachats (« gate ») dans le cas où le total des demandes de rachat net des souscriptions sur une même valeur liquidative

excèderait 10% de l’actif net du fonds. (...) Chaque demande de rachat pourra ainsi être réduite proportionnellement et la partie non exécutée sera reportée automatiquement sur la prochaine valeur liquidative. Les ordres ainsi reportés n’auront pas de rang de priorité sur des demandes de rachats ultérieures."

Ainsi, dans le cas où des porteurs de parts représentant plus de 10% des parts du fonds souhaiteraient vendre, la société de gestion serait fondée à réduire les ordres de chacun pour ne pas avoir à vendre plus de 10% des parts. La fréquence de valeur liquidative (VL) est en outre devenue mensuelle, la publication de cette VL doit avoir lieu au plus tard 20 jours après la fin du mois et le délai de règlement/livraison est de 2 jours calendaires après la publication de la VL. Un investisseur attendra donc jusqu'à 22 jours après la date d'établissement de la VL le règlement, voire un mois supplémentaire (ou plusieurs) si son ordre de vente a été fractionné en raison de demandes de rachat trop importantes.

Si l'on prend l'exemple du fonds Multi Alternatif Explorer M, géré par Edmond de Rothschild Multimanagement et également référencé dans certains contrats d'assurance vie, on trouve en page du prospectus modifié en date du 27 octobre 2008 la notion de préavis impératif : "Les demandes de rachats doivent être présentées avec un préavis impératif d’au moins 35 jours calendaires précédant la date de valeur liquidative à laquelle l’investisseur désire que soit exécuté son rachat." La fréquence de valorisation étant mensuelle, le prospectus donne un exemple de calcul du préavis impératif : "une demande de rachat sur la valeur liquidative du 31 décembre 2008 devra être transmise au plus tard le 26 novembre 2008. Une demande rachat présentée le 28 novembre 2008 sera exécutée sur la valeur liquidative du 30 janvier 2009."

L'approche retenue pour la mise en place de "gates" est similaire à celle d'Allianz Alternative Asset Management : "La société de gestion a la faculté de ne pas exécuter en totalité les ordres de rachat centralisés si le total des demandes de rachat, net des demandes de souscription, sur une même valeur liquidative excède 10% de l'actif net du Fonds ou 10% des parts émises par le Fonds. Dans cette hypothèse, la société de gestion peut décider d'exécuter les rachats dans la limite de 10% de l'actif net du Fonds ou de 10% des parts émises et au prorata de chaque demande. Le seuil de 10% est déterminé net des demandes de souscription, sur la base de la dernière valeur liquidative connue ou estimée, du dernier actif net connu et du dernier nombre de parts en circulation connu. Les demandes de rachat ainsi réduites proportionnellement et en attente d'exécution seront reportées automatiquement sur la prochaine valeur liquidative. Les ordres ainsi reportés n’auront pas rang de priorité sur des demandes de rachat ultérieures."

Dernier exemple de création de "gates" avec le fonds Alteram Stratégie Futures, géré par UFG ALTERAM, dont le prospectus a été mis à jour en date du 27 octobre 2008 : "Lorsque le total des demandes de rachat, net des souscriptions, sur une même valeur liquidative excède 20% de l’actif net du fonds, la société de gestion garde la faculté de ne pas exécuter en totalité les ordres de rachat centralisés. Le seuil est déterminé sur la base de la dernière valeur liquidative, ou de la dernière valeur estimative calculée par la société de gestion. Dans cette hypothèse, la société de gestion peut décider d'exécuter les rachats dans la limite de 20% de l’actif net du fonds et au prorata de chaque demande." On voit que le seuil est plus élevé que pour les 2 fonds précédents. Bien que ce seuil soit laissé à l'appréciation de la société de gestion, la liquidité des fonds sous-jacents est sans doute le principal critère. Les sous-jacents d'Alteram Stratégie Future sont en effet investis sur les marchés de futures, eux-mêmes très liquides.

La fin de la multigestion alternative en assurance vie ?

Il subsiste quelques points d'ombre : puisque les ordres réduits et reportés à la VL suivante n'ont pas de rang de priorité sur les demandes de rachat ultérieures, comment les demandes de rachat en suspens seront-elles hiérarchisées ? Que se passera-t-il à compter du 23 janvier 2009, terme théorique de ce régime d'exception, si l'AMF décide d'y mettre fin ?

Les investisseurs privés concernés sont vraisemblablement dans leur majorité des souscripteurs de contrats d'assurance vie. C'est donc à l'assureur de les informer de tout changement lié au nouveau règlement AMF pour un fonds dans lequel ils auraient investi. Nous rappelons en effet que dans le cadre d'un contrat d'assurance vie, c'est l'assureur qui est juridiquement propriétaire des parts, pas l'assuré. L'AMF stipule en effet que "la mise en place de ces nouvelles conditions de souscription/rachat doit faire l'objet (...) d'une information immédiate, par tous moyens, des souscripteurs."

Il est probable que les assureurs déréférencent rapidement tout OPCVM de fonds alternatifs ne garantissant plus une liquidité quotidienne et inconditionnelle. Il est également probable que leur système informatique ne prévoie pas les cas de figure qui ne manqueront pas de se présenter. En bref, beaucoup d'incertitude en prévision.

La décision prise par l'AMF est vraisemblablement la moins mauvaise possible, tant pour les sociétés de gestion que pour les investisseurs. Il est néanmoins regrettable que tant de sociétés de gestion aient pu, jusqu'au 23 octobre dernier, s'engager, avec l'accord au moins tacite de l'AMF, sur une VL et une liquidité quotidiennes alors que les fonds sous-jacents n'offraient pas tous les mêmes caractéristiques. On notera que certains acteurs historiques de la multigestion alternative en France, comme HDF Finance, n'ont jamais assuré une liquidité quotidienne à leurs porteurs de parts d'OPCVM de fonds alternatifs et ont toujours imposé des préavis impératifs (ou des pénalités de sortie quand l'investisseur souhaitait un rachat plus rapide de ses parts) : c'est de très loin la meilleure façon de respecter dans la durée l'égalité et l'intérêt des porteurs de parts.

Le changement des règles en cours de jeu, même s'il obéit aux meilleures intentions, laissera des traces chez les investisseurs privés et chez les assureurs. La fin de la multigestion alternative de droit français chez les investisseurs privés ?

Philippe Maupas , CFA, CAIA, CIPM, est co-fondateur de Quantalys et éditorialiste.