Le Brexit et la gestion collective

Publié le 08/11/2018 - Rui Fidalgo
Le Brexit et la gestion collective : 40 milliards de sorties potentielles sur les valeurs anglaises, 400 milliards de décollecte potentielle pour les fonds anglais selon Quantalys

La sortie officielle du Royaume-Uni de l'Union européenne est prévue pour le 29 mars 2019. Pour l’instant, aucun accord n'a été négocié entre Theresa May et ses partenaires européens. On se dirige donc vers un « no-deal ». Comme l’a rappelé Robert Ophèle, président de l’Autorité des marchés financiers, « la rupture est d’ordre systémique ». Passer du statut de membre de l’UE au statut de pays tiers constitue une rupture inédite dans l’histoire de l’UE. Cette sortie risque d’impacter les services financiers fournis par les acteurs britanniques au sein de l’UE mais également le stock de contrats en cours entre les acteurs britanniques et les acteurs de l’Union européenne. Dès que la sortie sera actée, le Royaume-Uni cessera d’être soumis aux règles européennes applicables en matière de gestion d’actifs et les sociétés de gestion britanniques perdront l’accès au marché unique.

Conséquences pour le Plan d'Epargne en Actions (PEA)

Dans le PEA, seuls les titres dont la société émettrice a son siège en France, dans un Etat membre de l’Union européenne, en Islande, en Norvège ou au Liechtenstein peuvent être inscrits dans un PEA. Le non-respect d’une condition entraine normalement la clôture du PEA. Si jamais les titres britanniques perdaient leur éligibilité au PEA, les épargnants qui en détiennent dans leur PEA seraient contraints de s’en séparer. L’éligibilité des titres britanniques dépend donc des conditions de cette sortie et des nouveaux accords conclus entre le Royaume-Uni et la France.

Fin septembre 2018, la part du Royaume-Uni dans le MSCI Europe est de 28%.

A partir des données Quantalys, les fonds Europe éligibles au PEA représentent environ 141 milliards d’euros au 30 septembre 2018. Le périmètre ne concerne que les PEA investis en OPCVM et ne prend pas en compte les PEA investis en titres en direct ou via des mandats.

Potentiellement, un « no deal » pourrait obliger les gérants de fonds éligibles au PEA de sortir les valeurs britanniques de leurs portefeuilles, ce qui représente un impact de sortie de 40 milliards d’euros environ (28% de 141 milliards €) pour la Bourse de Londres !

Conséquences pour les sociétés de gestion britanniques

L’autre conséquence, si le Royaume-Uni devient un pays tiers, ne se situe pas au niveau des valeurs britanniques cotées en Bourse mais au niveau des sociétés de gestion britanniques. En effet, les sociétés de gestion installées au Royaume-Uni perdraient dans ce cas leur passeport européen. Ce passeport leur permet actuellement de commercialiser un fonds de droit anglais dans les 27 pays de l'UE. De ce fait, les OPCVM et les FIA britanniques seraient requalifiés en FIA de pays tiers et ne seraient donc plus commercialisables dans l’Union européenne. Leur seul recours est de chercher à bénéficier de régimes de placement privé de droit national ou d’obtenir le passeport FIA pour les pays tiers permettant la commercialisation de leurs fonds auprès des investisseurs professionnels.

Sur les 25 000 fonds référencés sur Quantalys, 380 sont domiciliés au Royaume-Uni. Ainsi, 2% des fonds  référencés sur Quantalys sont concernés, soit un encours estimé à 72 milliards.

Les sociétés de gestion britanniques perdront également le droit de fournir leurs services de gestion sur le territoire de l'Union européenne. Sans passeport, elles ne pourront donc plus gérer directement des OPCVM ou des FIA établis dans l’Union européenne.

Les sociétés de gestion britanniques utiliseront la délégation pour pallier à ce passeport perdu. La délégation consiste à confier la gestion des fonds européens à des gérants basés au Royaume-Uni. Ils pourront également mettre en place des contrats de conseil entre la filiale et la maison mère. Depuis l’annonce de la sortie, de nombreuses sociétés de gestion britanniques se sont implantées dans un État membre de l’UE en créant une filiale agréée par le régulateur local, qui pourra quant à lui bénéficier du passeport européen et ainsi fournir des services dans les autres Etats membres de l’UE. Toutefois, le passeport de la filiale permettra de commercialiser les services de la filiale mais pas ceux de la maison mère britannique. Cette mesure permet donc aux acteurs britanniques de pouvoir opérer indirectement auprès des clients européens.

Les pays sélectionnés pour créer des filiales sont principalement le Luxembourg et l’Irlande. M&G Investments, Columbia Threadneedle Investment ou encore Artemis Investment Management ont déjà transféré des fonds vers leur nouvelle plate-forme luxembourgeoise. C’est également le cas pour la société First State Investments, qui s’est quant à elle, orientée vers Dublin. Cette mesure risque d’affecter principalement les sociétés de gestion anglaises les plus modestes qui n’auront pas la possibilité de créer une filiale dans un pays de l’UE.

A noter que l’industrie de la gestion d'actifs britanniques semble sereine par rapport aux conséquences du non-deal grâce à cette possible délégation. Toutefois, il n’est pas impossible que les régulateurs européens décident de réexaminer les règles de délégation. Dans tous les cas, les sociétés de gestion britanniques souhaitant agir dans l’Union européenne après le Brexit devront négocier localement avec chaque régulateur européen pour obtenir un agrément de gestion. A partir des données Quantalys, nous savons que les fonds commercialisés en France gérés par des sociétés de gestion britanniques totalisent près de 400 milliards d’€ de capitaux. Même si certaines sociétés britanniques se préparent déjà, ce montant total donne une idée du risque d’impact pour l’industrie de la gestion britannique et que ce sujet est systémique à quelques mois de l’échéance.

Conclusion

On le voit bien, à quelques mois de l’échéance, le chantier est gigantesque et les sujets sont nombreux : Il faudra harmoniser les directives européennes, mener des modifications réglementaires, faire évoluer les accords de coopération avec les acteurs britanniques au niveau national... Les négociations vont nécessairement évoluer avant qu’un accord ne soit négocié entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne. Dans tous les cas, les conditions de sorties devront être prises avant mars 2019 et annoncées rapidement aux différents acteurs de la gestion d’actifs. Confronté à ces questions en attente, et face à un véritable risque systémique, c’est l’ensemble de l’éco-système qui va commencer à agir, dans un principe de précaution, pour d’ores et déjà limiter le poids des valeurs britanniques dans leurs portefeuilles ou, à l’approche de la date fatidique, être pro-actifs en réduisant leurs expositions sur les fonds gérés par des sociétés de gestion britanniques afin de limiter les possibles impacts vis-à-vis de leurs clients.

 

Discours du 16 octobre de Robert Ophèle, président de l’AMF : https://www.amf-france.org/Actualites/Prises-de-paroles/Archives/Annee-2016?docId=workspace://SpacesStore/7668f378-e49c-4079-a8df-d3b08fd8838b&xtor=RSS-1

Pour certaines sociétés de gestion, nous n’avons pas réussi à récupérer les données sur les encours. Les calculs ont été faits avec les données disponibles sur Quantalys au 30/09/2018.

Rui Fidalgo est analyste junior chez Quantalys.