#Coronafund ou #Coronabond ? Le point de vue des gérants et économistes

Publié le 06/04/2020 - Jean-François Bay
La France propose la création d'un « coronafund », fonds de sauvetage européen couvrant les plans de relance dédiés au Coronavirus.

Le ministre des Finances Olaf Scholz prépare déjà son opinion publique au lancement d’un fonds de sauvetage visant à aider des pays comme l'Italie à court terme. Les aides de ce fonds devraient être assortis des conditions qui accompagnaient les précédents renflouements, a-t-il déclaré jeudi soir à la chaîne publique allemande ARD car l’Allemagne ne veut pas entendre parler de mutualisation des dettes ou de « coronabonds ».

En effet, lors du sommet européen du 26 mars dernier, la France et d’autres États de l’Europe du Sud (Italie, Espagne…) ont plaidé pour la mutualisation des dettes publiques de la zone euro. En vain. L’Allemagne, l’Autriche et d’autres pays d’Europe du Nord s’y opposent. Serait-ce un élément de solution ponctuelle à la crise actuelle liée au Coronavirus ? Ou à un sujet plus profond ? Qu’en pense les gérants et économistes ?

1. Le point de vue de l’Europe du Sud (par ailleurs les plus touchés par le Coronavirus) :

Dans une lettre adressée mercredi au président du Conseil européen Charles Michel, les dirigeants de neuf pays européens, dont le président français Emmanuel Macron et le chef du gouvernement italien Giuseppe Conte, avaient appelé à création de ces «coronabonds», afin de disposer d'un fonds important face à la crise. Si «l'Union européenne ne prouve pas qu'elle existe maintenant, elle disparaîtra».

A situation exceptionnelle, solution exceptionnelle

Mario Centeno, président de l’Eurogroupe et aussi le ministre portugais des Finances : « tous les Etats sortiront de la crise avec un niveau d’endettement beaucoup plus important. Dès lors, nous devons explorer les instruments existants mais nous devons aussi être ouverts à l’examen d’autres solutions ».

https://www.letemps.ch/economie/litalie-ne-relache-pression-coronabonds

Plus qu’un outil, un facteur de cohésion

Nicolas Forest, responsable de la gestion obligataire chez Candriam : « Les coronabonds faciliteraient l’intégration fiscale et une relance budgétaire coordonnée de la zone euro. Face aux crises et aux pandémies mondiales, les tergiversations européennes sont un facteur de risque pour tous les actifs de la zone euro. Les coronabonds seraient une réponse structurelle.»

L’Allemagne reste confinée dans l’immobilisme

La tempête médiatique s’abat contre l’Allemagne, accusée d’égoïsme dans la crise sanitaire et financière qui risque d’emporter l’Italie. Berlin ne veut pas entendre parler des coronabonds et Angela Merkel l’exprime à sa façon : « nous avons dit du côté allemand que telle n’était pas la conception de tous les Etats membres d’émettre ces emprunts européens ». a-t-elle déclaré lors du dernier Conseil européen virtuel le 26 mars dernier.

https://www.lefigaro.fr/conjoncture/coronabonds-en-europe-angela-merkel-confinee-dans-l-immobilisme-20200402

La principale objection des adversaires des différents plans de mutualisation fiscale, l’aléa-moral, est-il encore valable cette fois ? Depuis 2012, l’Europe du Nord ne veut pas que les Etats « vertueux » assument les conséquences fiscales de la mauvaise gestion macroéconomique des Etats latins. Toute aide devait donc être strictement conditionnée et aucune mutualisation apriori n’était possible. Avec le coronavirus, la crise est manifestement exogène aux politiques macroéconomiques et cet argument de l’aléa-moral ne semble pas jouer a priori.

2. La point de vue de l’Europe du Nord :

Pas d’approfondissement de la zone euro tant que les pays du Sud n’auront pas respecté les règles qu’ils ont eux-mêmes largement fixées (rigueur budgétaire…).

Valentin Bissat, économiste à la banque Mirabaud à Genève :« avec la mutualisation de la dette, on engage le contribuable de chaque pays européen. La crainte de l’Allemagne est qu’à la fin, c’est elle qui doive payer la note.»

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/02/coronabonds-il-serait-temps-a-paris-de-faire-un-peu-de-droit-et-un-peu-moins-de-politique_6035265_3232.html

https://www.courrierinternational.com/article/controverse-faut-il-recourir-des-coronabonds

Le serpent de Mer des « Eurobonds » qui resurgit

La mutualisation des dettes des pays européens est fréquemment réclamée par les pays endettés du sud de l'Europe, comme l'Italie, mais elle est rejetée par les pays du nord, plus vertueux sur un plan budgétaire. Cette opposition à l'idée de mutualiser des dettes avait culminé en 2015 lors des houleuses négociations pour un troisième plan de sauvetage de la Grèce alors en plein marasme économique.

https://www.lefigaro.fr/conjoncture/berlin-pret-a-la-solidarite-europeenne-mais-sans-corona-bonds-20200331

Le retrait des mesures de soutien de la BCE avait relancé le sujet en 2017 avec l’idée des « Euro Safe Bonds »

A l’époque, la fin du soutien de la Banque centrale européenne (BCE) au marché des emprunts d'Etat relançait le sujet d’une vraie mutualisation des dettes, avec la création d'obligations communes et d'une agence de la dette européenne. Jens Weidmann, le patron de la Bundesbank, s'opposait à toute idée d'« eurobonds ». Mais il est aussi un peu méfiant à l'égard des « European Safe Bonds », un concept qui circule depuis des mois au sein des instances européennes et qui a été formalisé par des universitaires. De quoi s'agit-il ? Les European Safe Bonds consistent en une opération de titrisation des emprunts d'Etat. On fabrique un titre synthétique adossé à des obligations d'Etat achetées sur le marché secondaire. L'idée de départ est de répondre au phénomène de raréfaction des actifs financiers sûrs (notés AAA), très recherchés par les investisseurs. Il s'agit de produire de nouveaux titres sans risque. L’idée des European Safe Bonds était également pour François Villeroy de Galhau, Président de la Banque de France, de « réduire le lien excessif entre dette souveraine et secteur bancaire ». Mais la Buba (Bundesbank) avait refusé d'impliquer une entité européenne par crainte de mutualiser les risques.

https://www.lesechos.fr/2017/06/leurope-pourrait-titriser-la-dette-des-etats-172385

 

3. Les solutions alternatives existent pour l’instant

Une certaine souplesse

L’Allemagne a assoupli sa position. «Nous sommes prêts à la solidarité, mais une solidarité bien pensée», a commenté mardi Olaf Scholz, le ministre des Finances issu des rangs du Parti social-démocrate. Mais le ministre a réitéré le refus de Berlin de mettre en place des «coronabonds», des emprunts communs aux 19 pays de la zone euro.

Sven Giegold, eurodéputé allemand et porte-parole sur les questions économiques et financières des Verts pense qu' «il n’y a sans doute pas de majorité en faveur des «coronabonds», mais l’Eurogroupe va certainement proposer des solutions. Il est inconcevable que les pays les plus faibles paient les taux d’intérêt les plus élevés pour faire face à une crise dont ils ne sont pas responsables».

La mutualisation via la création d’un fonds de sauvetage temporaire et dédié

Dans un effort pour combler le fossé entre les deux parties, la France vient de proposer la création d'un fonds temporaire de relance économique qui fonctionnerait pendant cinq à dix ans spécifiquement pour soutenir les pays au lendemain de la pandémie. Il s'agirait d'émettre une dette adossée à l'ensemble de la zone euro pour répartir la charge financière de relance de l'économie.

La mutualisation via le MES :

Le consensus pourrait se faire autour de l’utilisation du Mécanisme européen de stabilité (MES), un instrument mis en place en juillet 2012 lors de la crise de la dette grecque. «Tel qu’il est construit aujourd’hui, il subordonne son aide à une stricte conditionnalité, fait remarquer Valentin Bissat. Mais ce que l’on observe en période de crise est que ce qui était impossible il y a quelques années devient rapidement possible.» Et d’ajouter: «Le MES qui est bien capitalisé pourrait être utilisé et voire émettre des «coronabonds» à des taux bas et prêter aux pays sans forcément imposer de mesures d’austérité.»

La mutualisation via la BCE :

La BCE vient alors de publier le 28 mars les détails de son arsenal monétaire, baptisé "pandemic emergency purchase programme" (PEPP). Il s'agit d'un vaste plan de rachats d'actifs de près de 1.000 milliards d'euros. Cette publication vient apporter un détail majeur pour la politique monétaire: la BCE a officiellement décidé de faire sauter la limite de 33% qu'elle se fixait pour les rachats des dettes d'un pays. "C'est un moment où les aspects techniques et juridiques de la BCE ont en fait des conséquences absolument énormes pour les marchés financiers et même au-delà" explique Frederik Ducrozet, stratégiste chez Pictet Wealth Management.

La BCE fera "tout ce qui est nécessaire dans le cadre de son mandat pour aider la zone euro à surmonter cette crise" expliquait sa présidente Christine Lagarde, la semaine dernière. Elle a désormais joint la parole aux écrits. La levée de cette limite (uniquement dans le cadre de cette crise, en théorie) lui donne tous les pouvoirs pour soutenir l'économie européenne.

Les faucons en cage

La BCE a toujours été un lieu de confrontation entre les faucons et les colombes. Les premiers, menés par les Allemands et les Néerlandais, ne cautionnent qu'une politique monétaire orthodoxe, qui ne doit pas basculer dans la perfusion monétaire. En face, les colombes sont favorables à l'assouplissement, aux taux bas et aux rachats massifs d'actifs. Sous la présidence précédente de Mario Draghi, l'avantage était pour ces derniers. C'est ce qui a permis d'adoucir la récession de 2008 mais qui, finalement, donnait peu de marges de manœuvre en cas de nouvelle crise.

La nouvelle crise, la voici. Et les banques centrales n'ont pas longtemps hésité en ouvrant les vannes. En Europe, les faucons n'ont pas réellement eu l'occasion d'ouvrir leur bec, face à la catastrophe potentielle. "Tout ne serait évidemment pas arrivé dans une situation normale" commente Frederik Ducrozet.

C'est une vraie révolution

Les outils "non conventionnels" comme les rachats d'actifs, tant décriés après la crise, deviendront désormais la norme et ouvriront probablement la voie à d'autres outils, comme le très controversé "helicopter money". Mario Draghi, qui s'y est toujours opposé, a d'ailleurs changé d'avis sur ce sujet, à l'occasion de l'épidémie. Le retour à l'orthodoxie n'est donc pas pour demain. "C'est terminé, c'est plié" juge Frederik Ducrozet. "On n'aura pas de montée des taux dans un avenir proche. On n'aura pas de réduction du bilan, bien au contraire."

TINA : There is no alternative

Reste la question de l'endettement massif que devrait entraîner le programme de la BCE et les plans de relance des différents gouvernements. Mais il n’y a pas d’alternative : « Maintenir l’économie européenne en vie quand l'alternative risque de mettre toutes les entreprises en faillite et 50% des gens au chômage » précise Frederik Ducrozet

https://bfmbusiness.bfmtv.com/monde/face-au-coronavirus-la-bce-se-lance-dans-une-revolution-audacieuse-mais-risquee-1883339.html

 

Conclusion :

C’est le signal qui compte

“Est-ce que l’UE, la zone euro se résument à une institution monétaire et un ensemble de règles, très assouplies, qui permettent à chaque État d’agir de son côté ? Ou agit-on ensemble pour financer nos dépenses, nos besoins dans cette crise vitale ?”, questionne Emmanuel Macron.

“Il peut s’agir d’une capacité d’endettement commune, quel que soit son nom, ou bien d’une augmentation du budget de l’UE pour permettre un vrai soutien aux pays les plus touchés par cette crise”, a-t-il détaillé. “Le montant est secondaire, c’est ce signal qui compte, à travers l’endettement commun ou le budget commun”, a-t-il ajouté.

“Le climat qui semble régner entre les chefs d’État et de gouvernement et le manque de solidarité européenne font courir un danger mortel à l’Union européenne” a averti ce samedi 28 mars l’ancien président de la Commission européenne Jacques Delors, dans une déclaration transmise à l’AFP.

Le coronavirus fait donc courir un danger mortel à l’Union européenne !

https://www.huffingtonpost.fr/entry/confinement-et-coronavirus-leurope-en-danger-de-mort-selon-delors_fr_5e7f3bd8c5b6cb9dc1a10d93

Jean-François Bay , Directeur Général, Développement international.