Les SCPI à l’épreuve du Covid-19

Publié le 21/07/2020 - Morgane Berthelot
Les SCPI de l’immobilier d’entreprise et fiscales ont collecté 2,56 milliards € au premier trimestre 2020, soit 24% de plus qu’en 2019. Mais le volume de leurs acquisitions a baissé de 9,38% par rapport au premier trimestre 2019. On constate que la crise sanitaire a obligé les SCPI à faire preuve d’adaptation. Les sociétés de gestion nous en parlent.

A travers divers entretiens, les dirigeants de huit sociétés de gestion immobilières* nous ont fait part de leur expérience de gestion des conséquences de la crise sanitaire. Même s’ils préfèrent rester prudents, la plupart des intervenants s’accordent à dire que l’impact du Covid-19 sur la santé des SCPI sera surtout ressenti au cours des 2ème et 3ème trimestres de cette année. En fonction de l’efficacité des politiques de relance et à condition qu’il n’y ait pas de deuxième vague, la situation devrait s’améliorer à partir de la fin du 4ème trimestre 2020 ou en début d’année prochaine. 


1. Difficultés passagères d’encaissement de loyers

Pour la plupart des sociétés de gestion, la période du confinement a été marquée par une activité soutenue. Toutes les sociétés ont été confrontées à la problématique de la collecte des loyers. Indépendamment de la santé financière des locataires, la nature des difficultés différait en fonction des facteurs suivants :


- La qualité du contact de la société de gestion avec ses locataires : une bonne connaissance des locataires et la stabilité de l’équipe de gestion en contact direct avec les locataires ont permis à certaines sociétés de gestion, telles que Aestiam (Foncia), Atland Voisin et Sofidy, d’optimiser la collecte des loyers en période de confinement. Les équipes de Primonial REIM ont contacté leurs principaux locataires de façon proactive pour leur proposer des solutions en amont.

Atland Voisin, Sofidy et Aestiam remarquent que « des cas d’opportunisme » de la part des locataires furent fréquents pendant la crise sanitaire pour bénéficier de l’annulation des loyers. La Française REM, tout comme BNP Paribas Real REIM, a adopté une conduite de fermeté vis à vis des demandes de locataires de taille importante dont le secteur d’activité n’est pas spécialement affecté par la crise ou dont les capacités financières sont manifestement importantes. La plupart des sociétés de gestion ont géré les demandes au cas par cas en adaptant les mesures d’accompagnement à la situation du locataire après l’étude de son dossier. Dans ce contexte, La Française REM insiste sur l’importance de l’adoption d’une démarche responsable vis-à-vis des locataires.

- Le nombre et la diversité des locataires : pour BNP Paribas
REIM et Atland Voisin, la diversification structurelle du portefeuille de la SCPI est un atout majeur. Par comparaison à une détention à titre privé d'un actif ou même de quelques actifs, on voit bien que la capacité de déployer un capital plus conséquent sur un plus grand nombre de lignes permet de maîtriser le risque.  Les SCPI avec un plus grand nombre de locataires diversifiés avaient un avantage sur les autres.

- Le secteur économique de la SCPI : les trois secteurs les plus touchés sont les hôtels, les commerces et le secteur tertiaire. Selon l’Observatoire de l’hôtellerie et du tourisme, les impacts de la crise Covid-19 sur le secteur hôtelier sont plus brutaux et plus importants que ceux de la crise de 2009. À la suite du confinement, ce secteur a perdu 90 % de chiffre d’affaires. Les annulations sont nombreuses jusqu’au 17 mai 2020 et un peu moins importantes sur fin mai et juin 2020. L’hôtellerie de luxe est la plus touchée avec un taux d’occupation (TO) de 10 % au 15 mars 2020, alors qu’il est de 16 % sur les hôtels de classe moyenne et 30 % sur les hôtels de classe économique. 
Sur les 7000 locataires de Primonial REIM, quelques centaines ont demandé un aménagement de loyer, 80% de ces demandes provenaient des commerces. Même si à l’heure actuelle la plupart de ces demandes ont fait objet d’accord, le président d’Atland Voisin remarque une réaction excessive des propriétaires de grandes enseignes : le choc dû à la fermeture imposée par la crise a été amplifié par le manque de visibilité concernant la date du déconfinement et les modalités de la reprise. En revanche, les commerces avec une stratégie de distribution omnicanale ont été moins touchés, car ils ont gardé la maîtrise de leur chaîne d’approvisionnement, avec notamment des circuits de distribution courts. Enfin, un tiers des demandes reçus par Kyaneos provenaient des entreprises du secteur tertiaire, mais aucun locataire du parc immobilier résidentiel n’a formulé de demande d’aménagement des loyers.

Les trois secteurs qui ont le mieux résisté au Covid-19 sont les bureaux, la santé et l’habitation (en dehors des hôtels).

- La situation géographique : globalement, la diversification internationale a permis aux SCPI de mieux mutualiser les risques de la collecte des loyers en période du confinement. Tous les intervenants, dont les SCPI sont investies en Allemagne, ont constaté un meilleur taux de recouvrement dans ce pays. C’est moins le cas pour les autres pays européens plus durement touchés par la pandémie ayant une situation économique initiale moins favorable, tels que la France, l’Italie ou l’Espagne.
Selon Amundi Immobilier, l’impact de la politique appliquée selon les Etats ne peut être sous-estimé. Par exemple, tandis qu’en France, les SCPI ont été incitées à annuler les loyers pour les petites entreprises en état de fermeture administrative, l’Etat allemand était nettement mois permissif vis-à-vis des locataires en optant pour l’étalement des paiements. Les commerces néerlandais n’étant pas suffisamment soutenus par le gouvernement des Pays-Bas avaient ainsi davantage de difficultés à résister à la crise.

Le tableau suivant permet de résumer les mesures d’accompagnement des locataires adoptées par les sociétés de gestion et leur impact.

 

 

Société de gestion

 

Mesures d’accompagnement

Proportion des loyers collectés au titre du T2

Distribution au titre du T2 en pourcentage de la distribution initialement prévue

Amundi Immobilier

- Entreprises touchées par la fermeture administrative : 3 mois de loyers annulés pour les TPE, 1,5 mois annulés pour les autres

- Entreprises non touchées par la fermeture : report du loyer au 3ème trimestre

75%

80%

BNP Paribas REIM

Analyse au cas par cas :

- reports de loyers

- franchise avec contrepartie

- franchise sans contrepartie (TPE touchées par la fermeture administrative)

91%

NC

Primonial REIM

Au cas par cas :

- date de paiement des loyers repoussée à la fin du trimestre plutôt qu’au début

- étalement des paiements

- baisse de loyers en échange du rallongement de la durée du bail

81%

NC

Atland Voisin

- suspension des loyers en contrepartie d’un rallongement de la durée du bail

- accords sur mesure avec les locataires, discussion permanente avec les entreprises en sauvegarde (La Halle, par exemple)

85-88%

89 - 100% (sans

recours au report

à nouveau)

Kyaneos AM

- rares annulations de loyers en province

99%

99%

Aestiam (Foncia)

- abandon de loyers uniquement s’il permet de conserver les locataires dans la durée

- renégociation du bail en contrepartie d’une facilité de la trésorerie

- mensualisation des loyers avec lissage

NC

70 à 100% selon les SCPI (hors SCPI hôtels)

Sofidy

- report des loyers par mensualisation avec lissage

- certains baux ont été rallongés pour les bureaux

80%

90-98%

La Française REM

- report de loyers pour les entreprises les plus touchées, quelques annulations pour certaines TPE au 2ème trimestre

- pour les grandes entreprises affectées par la crise : mensualisations à terme échu ou le report du 2ème

trimestre sur les 3ème et 4ème trimestres

 

75%

66%

Pour protéger leurs associés, les SCPI compenseront le manque à distribuer avec leurs réserves ou en lissant les loyers dans le temps.


2. Baisse de la collecte et impact sur la liquidité et les valorisations

Selon les chiffres publiés par l’ASPIM, les SCPI ont collecté 2,56 milliards € au premier trimestre 2020, en progression de 24% par rapport au premier trimestre 2019. Sur la période du confinement correspondant au 2ème trimestre, la collecte a diminué pour certaines SCPI de 20% par rapport à la même période en 2019. En effet, la fermeture des agences bancaires et l’impossibilité de contracter un emprunt en période de confinement ont tiré vers le bas la collecte de toutes les SCPI. Cependant, le confinement a moins pénalisé les SCPI disponibles en distribution multicanale. Ces SCPI continuaient de distribuer leurs parts à distance en passant par des CGPI, des banques privées et via des plateformes Internet. 

Au niveau de la liquidité des parts, tous les intervenants s’accordent à dire qu’il n’y pas de risque de liquidité à court terme. Face à la crise, aucune des sociétés de gestion interrogées n’a enregistré de départs massifs d’investisseurs. Pour Sofidy, le sujet de la liquidité ne se pose pas du tout pour les SCPI ayant un nombre d’associés élevé avec une faible concentration de parts. 
Pour Atland Voisin, peu de placements offrent un rapport bénéfice-risque équivalent à celui des SCPI. La demande toujours soutenue permet de ne pas craindre une accumulation de parts en attente. 
Amundi Immobilier, Aestiam et La Française REM préfèrent rester prudents et considèrent que la collecte doit être regardée avec attention. Une autre solution serait d’octroyer aux SCPI la faculté de la suspension de la variabilité du capital figurant sur les statuts et de mettre en place un fonds de remboursement.
Selon les chiffres publiés par BNP Paribas Real Estate, le contexte du Covid 19 n’a pas empêché le marché de l’investissement en immobilier d’entreprise de performer au cours du premier trimestre, aussi bien en France qu’en Europe. Avec respectivement 7,5 milliards € et 66 milliards € investis, cela représente des hausses de +46% et +37% par rapport au premier trimestre 2019. Pendant la période du confinement, la plupart des sociétés de gestion consultées n’ont pas souhaité interrompre leurs activités liées aux acquisitions immobilières, à l’exception de Sofidy dont les gestionnaires ont préféré réserver les fonds disponibles aux opportunités futures d’après Covid-19. Pour les autres sociétés, la plupart des transactions négociées avant le confinement se sont déroulées comme prévu. Amundi Immobilier et BNP Paribas REIM ont renégocié les conditions de quelques achats sans enregistrer de baisse conséquente des prix. Les plus fortes baisses de prix ont été constatées dans le secteur des commerces et de l’hôtellerie. 
Enfin, les prix dans les secteurs de la logistique, des bureaux et du résidentiel se sont montrés les plus résistants aux effets de la crise sanitaire.
Les expertises des biens sous-jacents n’étant pas encore faites, le prix de souscription des SCPI à capital variable n’a pas évolué en période de confinement. Ce prix est fixé dans la limite de -10 / +10% de la valeur de reconstitution basée sur la valeur vénale. En fonction des résultats d’expertise, les prix de souscription pourraient évoluer à la baisse, surtout pour les sociétés de gestion pratiquant une surcote. Jean-Maxime Jouis de BNP Paribas REIM remarque parallèlement que la tendance est légèrement baissière pour les prix des SCPI à capital fixe négociés sur le marché secondaire.

3. Perspectives à moyen et long terme


De nombreuses simulations effectuées par les sociétés de gestion permettent d’envisager plusieurs scénarios plus ou moins optimistes. Dans tous les cas, la qualité de la reprise dépendra largement de la politique de l’Etat et de la situation sanitaire dans le monde. Selon une analyse publiée par Primonial REIM : « en deux mois de gel économique, la solvabilité des entreprises a été maintenue par les dispositifs de report de charges et l’accès à un financement garanti par l’Etat. Les sommes injectées dans l’économie ne constituent pas un stimulus, mais une protection temporaire. » Pour stabiliser la situation l’Etat français et la Banque Centrale Européenne devront trouver des solutions de fonds pour garantir un redressement durable.

Compte tenu de la plupart des estimations, on peut prévoir le retour de la croissance vers la fin 2021 ou le début 2022. D’après l’analyse de la Française REM, les comportements des acteurs devraient être marqués par une recherche de la qualité des actifs et une position attentiste face au risque. L’adoption de positions défensives par les investisseurs devrait permettre d’inverser la convergence des taux de rémunération. Les primes de risque devraient donc augmenter à la suite d’une hausse du risque locatif et une perception accrue du risque de liquidité sur certains types d’actifs.

Aestiam et Atland Voisin estiment qu’une baisse des prix de parts des SCPI est peu envisageable. La volatilité de la bourse et les taux bas obligataires favoriseront les investissements immobiliers. Selon une étude récente de BNP Paribas Real Estate, parmi les 84% des Français qui chercheront à épargner plutôt qu’à consommer, 18% investiront en immobilier. Une correction des prix immobiliers est probable, mais l’immobilier core** et prime*** restera fort. Encore une fois, la diversification du portefeuille de la SCPI permettra de mitiger le risque. Pour garantir le versement des dividendes, les SCPI devront être plus sélectives et privilégier des profils locatifs plus stables financièrement.

Pratiquement tous les intervenants considèrent que les bureaux pourront avoir un bel avenir car le télétravail ne pourra pas être appliqué à 100% : les entreprises ont toujours besoin d’un siège social et les équipes doivent se rencontrer. En revanche, les open-spaces vont devoir être transformés pour permettre un meilleur espacement des salariés. Les bureaux « agiles » ou flexibles, qui sont plus facilement adaptables selon les besoins des utilisateurs, devraient se développer rapidement. Le projet Grand Paris pourrait permettre de combler en partie ces besoins.

Au niveau des transactions, des opportunités d’investissement à saisir apparaîtront dans le secteur des commerces et des hôtels. Certains actifs vont devoir être vendus rapidement en cas d’insolvabilité des propriétaires. Les investisseurs disposant de réserves pourront alors profiter de ces opportunités. Malgré une situation actuelle peu enviable, Aestiam considère que la restauration, les hôtels et les services bénéficient d’une bonne capacité de rebond. Les commerces de centre-ville resteront une valeur défensive.

D’après l’analyse de Kyaneos AM, l’immobilier résidentiel en périphérie des villes de taille moyenne, qui se caractérisait jusqu’à présent par un prix au mètre carré anormalement bas (entre 1500-1600 €/m² travaux et frais inclus) pourrait connaître une revalorisation jusqu’à 2000 €/m². Si les habitants des grandes villes avec un pouvoir d’achat plus important décident d’acquérir une résidence secondaire ou même principale excentrée, cela pourrait entrainer une redynamisation des régions. Cette évolution est d’autant plus probable si le télétravail se développe ou si les problèmes sanitaires persistent.
L’influence de la localisation, si elle fait toujours l’unanimité, pourrait se traduire différemment dans le futur, par exemple – pour BNP Paribas REIM - avec l’émergence de tiers lieux / nouveaux hubs périphériques, déjà favorisée en région parisienne par les projets d’infrastructure du Grand Paris. A contrario, la Française REM estime que les actifs centraux et bien desservis resteront un enjeu dans la captation/rétention des salariés à haut potentiel.

Conclusion. Les sociétés de gestion immobilières restent prudentes, mais globalement positives concernant l’avenir. Le problème le plus important causé par le confinement est celui de la collecte des loyers. Malgré les difficultés, les annulations restent plutôt rares et sont en principe réservées aux petites entreprises touchées par la fermeture administrative. La plupart des SCPI disposent de réserves suffisantes pour amortir le choc et pouvoir verser des dividendes proches des niveaux initialement prévus pour l’année 2020. A moyen terme, aucune des sociétés de gestion ne prévoit une baisse des prix de l’immobilier allant au-delà des 10%. Puisque les prix de l’immobilier sont adossés sur des actifs physiques, ils sont plus stables et ne risquent pas de baisser de 50% comme c’est le cas pour d’autres placements. Dans le contexte de taux bas la prime de risque sur les SCPI est encore historiquement élevée, tandis que les rendements obligataires sont peu rémunérateurs. L’immobilier restera toujours attractif pour un certain nombre d’investisseurs. Enfin, selon une étude réalisée par Cushman&Wakefield en avril 2020, quelques 47 milliards d'euros sont disponibles à l’acquisition contre seulement 17 milliards d'euros d’actifs à arbitrer dans le secteur de l’immobilier d’entreprise. Etant donné l’écart entre la demande actuelle et l’offre disponible, on devrait éviter un effondrement des prix. On pourrait même espérer une reprise assez rapide du marché immobilier. Il reste deux inconnus dans cette équation : la probabilité de la deuxième vague et l’efficacité des politiques publiques. Le temps permettra de trancher.


 

*Nous remercions les sociétés de gestion ayant partagé leurs informations avec nous :

Le Président directeur général d’Aestiam, M. Alexandre Claudet

Le Directeur général d’Amundi Immobilier, M. Jean-Marc Coly

Le Président d’Atland Voisin, M. Jean-Christophe Antoine

Le Head of Fund Management de BNP Paribas REIM, M. Jean-Maxime Jouis

Le Président de Kyaneos AM, M. Jérémie Rouzaud

Le Directeur général de La Française REM, M. Marc-Olivier Penin

Le Directeur recherche & stratégie de Primonial REIM, M. Daniel While

Le Directeur de l'épargne de Sofidy, M. Nicolas Van Den Hende

** Les actifs « core », par opposition aux actifs opportunistes, permettent d’obtenir un rendement régulier, souvent dans un objectif de redistribution des cash-flows récurrents générés par les actifs immobiliers. Ces investissements conviennent aux investisseurs en recherche des actifs sécurisés avec des locataires sûrs qui ont signé des baux fermes à long terme qui permettent d’assurer des revenus locatifs récurrents (définition publiée par le centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques).

*** Au sein du secteur « core », on différencie les actifs dits « prime », c’est-à-dire des immeubles les mieux localisés avec les plus belles prestations techniques. Les actifs « core » plus correspondent quant à eux à des actifs immobiliers qui ont davantage vieilli et qui en conséquence sont un peu plus risqués (définition publiée par le centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques).

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Morgane Berthelot Analyste Data.