Gestion alternative : pas d'enterrement hâtif

Publié le 11/06/2009 - Philippe Maupas
Après Lehman et Madoff, retour sur la gestion alternative, un peu rapidement enterrée

Après des années de croissance continue de ses encours, la gestion alternative (qu'il s'agisse de fonds de type "hedge", de fonds d'immobilier physique ou de fonds de private equity) a connu en 2008 son annus horribilis.

Nous nous intéresserons ici surtout aux fonds de type "hedge", c'est-à-dire investissant dans des actifs financiers cotés, et pas aux fonds d'immobilier physique ou de private equity, dont les règles de liquidité sont très différentes.

L'objectif commun à la plupart de ces fonds, qui emploient des stratégies très diverses, est de réaliser une performance décorrélée de celle des grandes classes d'actifs que sont les actions et les obligations. En d'autres termes, de ne pas baisser quand les actions ou les obligations baissent, ou encore de réussir à préserver la valeur liquidative ou à la faire progresser quelles que soient les circonstances.

2008 : mauvaise performance absolue, bonne performance relative

La performance moyenne de la catégorie Quantalys Gestion Alternative Multi Stratégies, comportant essentiellement des fonds ARIA de droit français, a été de -12,41% en 2008, pour une volatilité moyenne de 3,16%, celle de la catégorie Gestion Alternative Long/Short de -11,92%, pour une volatilité moyenne de 4,79%.

La performance moyenne en 2008 a donc été très loin de l'objectif, qui est d'éviter de perdre de l'argent. Mais la comparaison avec les fonds actions traditionnels est plutôt à l'avantage de la gestion alternative.

En effet, dans le même temps, la catégorie Quantalys Actions Monde enregistrait une baisse de 37,70% pour une volatilité moyenne de 27,93%.

La corrélation entre les moyennes de catégories Gestion Alternative Multi Stratégies et Actions Monde s'est élevée en 2008 à 0,38, un niveau assez bas permettant de réduire le risque global d'un portefeuille investi sur les 2 classes d'actifs.

La gestion alternative multi stratégies a donc, en moyenne, amorti le choc par rapport aux actions, en baissant beaucoup moins, mais en baissant quand même.

Les raisons de cette contre-performance sont connues : la faillite de Lehman Brothers a porté un coup très sévère aux institutions financières, qui ont d'une part restreint le robinet du crédit aux hedge funds, d'autre part exigé des garanties plus élevées, forçant de nombreux fonds à liquider leurs positions alors que la liquidité disparaissait sur quasiment tous les marchés.

A la dislocation des marchés sur lesquels interviennent les fonds de gestion alternative s'est ajoutée l'affaire Madoff, qui a jeté un discrédit supplémentaire sur l'industrie, du fait des sommes colossales en jeu, de la qualité de certains investisseurs des fonds Madoff et de la faillite totale de la SEC qui régulait le fonds new yorkais de Bernard Madoff.

Un accès de plus en plus limité pour les particuliers français

L'AMF ayant permis en octobre 2008 aux sociétés de gestion de réduire la liquidité des fonds de gestion alternative de droit français, nombre de ces derniers ont activé des "gates", à savoir des restrictions aux rachats, et ont réduit leur fréquence de valorisation (voir notre analyse à ce sujet ici).

L'accès aux fonds de gestion alternative de droit français, appelés ARIA (à règles d'investissement allégées), est assorti de conditions très restrictives. L'assurance vie était la seule enveloppe permettant à des investisseurs non éligibles à l'investissement dans ces fonds à pouvoir y accéder, dans la mesure où c'est l'assureur qui est juridiquement l'investisseur, et qu'il répond aux conditions d'éligibilité.

Mais l'assureur ayant ses propres contraintes de liquidité du fait du Code des Assurances, la mise en place de "gates" et la réduction de la fréquence de valorisation (certains fonds sont passés d'une VL quotidienne à une VL mensuelle) a conduit au déréférencement systématique des produits devenus moins liquides, qui sont aujourd'hui inaccessibles dans le cas de l'assurance vie et soumis au droit commun, donc réservé aux investisseurs satisfaisant à des critères très contraignants.

Quel avenir pour la gestion alternative en France ?

Accusés de tous les maux, les fonds de gestion alternative ont payé un lourd tribut à la crise : liquidations, réductions drastiques d'encours. Il est à noter que les critiques des fonds de gestion alternative n'ont jusque là pas avancé d'argument très convaincants quant à la responsabilité de la gestion alternative dans la crise systémique qui a débuté pendant l'été 2007. Néanmoins, en raison de son opacité, des rémunérations vertigineuses de certains gérants et de la nécessité de trouver des boucs émissaires, l'industrie de la gestion alternative risque d'être soumise à une régulation beaucoup plus pointilleuse que dans le passé.

Paradoxalement, alors que le cadre réglementaire français des fonds ARIA imposait précisément une régulation des sociétés de gestion alternative par l'AMF depuis des années (direction dans laquelle tendent certains pays européens), on constate qu'un nombre croissant de fonds à l'origine ARIA se transforment en fonds diversifiés (au sens des classifications AMF), avec une liquidité quotidienne et moins de contraintes d'accès pour les investisseurs non professionnels.

C'est par exemple le cas de l'excellent fonds Latitude Alpha, dorénavant dans la classification AMF "Diversifié" alors qu'il était auparavant ARIA à effet de levier. Son gérant, Jean-François Bouilly, avance deux raisons principales à cette décision : le cadre de l'UCITS III permet un levier de 200%, que Latitude Alpha a rarement dépassé quand il était ARIA EL ; les investisseurs sont plus à l'aise avec le cadre UCITS III qu'avec le cadre ARIA EL.

Il est probable que ce mouvement va s'intensifier, c'est pour cette raison que nous avons créé en mars 2009 une nouvelle famille de catégories, "Performance absolue", segmentée en fonction des classes d'actifs utilisées. L'objectif est assez similaire à celui de la famille "Gestion alternative", mais dans le cadre UCITS III (dispersion des risques et levier maximum de 200%).

De nouveaux besoins chez les investisseurs

Les fonds vont devoir s'adapter pour répondre à des besoins de transparence, de liquidité et de simplicité communs à tous les types de produits. Les fonds de fonds alternatifs vont avoir du mal à proposer une liquidité suffisante et devront maintenir ou instaurer des préavis en cas de rachat. Dans les enveloppes de type assurance vie, il est probable que des fonds à objectif de performance absolue à liquidité quotidienne pourront trouver leur place et remplaceront les fonds de multigestion alternative évincés par les assureurs.

La brutale consolidation du secteur, avec la disparition de nombreux acteurs, les anomalies subsistant sur d'importants marchés, comme celui des obligations corporate où les spreads restent à des niveaux qui semblent très élevés, devraient permettre aux gérants les plus talentueux d'enregistrer de bonnes performances en 2009 : la plupart des grands indices alternatifs sont dans le vert depuis le début de l'année.

Nous estimons que les fonds de gestion alternative ou de performance absolue ont la place dans certaines allocations d'actifs, avant tout dans une optique de réduction du risque. En fonction de l'horizon de placement de l'investisseur, ce dernier pourra choisir entre une liquidité quotidienne, qu'il paiera par une espérance de rendement moins élevé, et une liquidité beaucoup plus réduite, donnant une espérance de gain plus élevée, les marchés ayant redécouvert à leurs dépens l'importance et le prix de la liquidité.

Mais attention, ces fonds nécessitent une attention particulière avant d'investir, même s'ils ne nous semblent pas présenter un risque plus élevé que celui que peuvent avoir les actions, comme l'année 2008 nous l'a malheureusement prouvé.

Philippe Maupas , CFA, CAIA, CIPM, est co-fondateur de Quantalys et éditorialiste.