Et votre indice, il est intelligent ?

Publié le 13/11/2009 - Philippe Maupas
Tous les indices ne sont pas construits de la même façon et les différences peuvent être considérables

La nature ayant horreur du vide, les indices boursiers ont été créés pour servir de repère aux investisseurs en leur permettant de visualiser la performance d'un marché d'un seul coup d'oeil, par le biais de la performance d'un panier de valeurs représentatives de ce marché.

Le Dow Jones Industrial Average (DJIA) a été créé en 1896 et comprenait à l'origine 12 valeurs. Il en comporte aujourd'hui 30 et sert toujours de thermomètre à la bourse américaine, même si d'autres indices ont depuis été créés : le S&P 500, plus large puisqu'il comporte 500 valeurs, le NASDAQ 100, ayant un biais technologique plus prononcé ou encore les indices Russell, encore assez peu connus en France mais très utilisés aux Etats-Unis.

Des méthodes de construction et de suivi différentes

Tous les indices ne sont pas construits de la même façon. Il existe 3 grandes familles, décrites ci-dessous : les indices pondérés par les prix, les indices pondérés par la capitalisation et les indices équipondérés.

En outre, la sélection des valeurs composant l'indice peut obéir à des règles publiques, donc transparentes, ou bien être décidée par un comité scientifique qui n'indique pas les règles présidant au choix des titres.

Indice pondéré par les prix

Le DJIA est calculé en faisant la somme des cours des 30 valeurs qui le composent et en la divisant par le Dow divisor (diviseur Dow). Si ce diviseur était à l'origine égal à la somme des valeurs constituant l'indice, à savoir 12 (l'indice étant alors la moyenne arithmétique des cours des constituants), il est aujourd'hui inférieur à 1 et est ajusté pour tenir compte des événements affectant les différentes actions composant l'indice (split ou tout autre changement structurel).

Ce mode de calcul donne plus d'importance relative aux sociétés dont l'action a un cours élevé, alors que le cours de l'action et la capitalisation boursière ne sont pas toujours proportionnels et qu'une société dont le cours de l'action est peu élevé peut avoir une capitalisation boursière bien supérieure à celle d'une autre société dont le cours est supérieur. Ainsi General Electric (GE) capitalise environ 167 milliards de $ pour un cours de 15,68 $ alors que Dupont de Nemours capitalise 31 milliards de $ pour un cours de 34,22 $ (au 13/11/2009 à 16.10). Et pourtant Dupont de Nemours pèse plus dans l'indice DJIA dans la mesure où le cours de son action est de plus du double de celui de l'action GE, alors que sa capitalisation ne représente que 19% de celle de GE.

On voit que cette technique de construction introduit un aléa important quant à la part relative des constituants. Très peu d'indices récents utilisent cette technique et très peu de fonds indiciels ou d'ETF répliquent des indices construits de cette façon.

Le Nikkei 300, représentatif du marché japonais, est également un indice pondéré par les prix.

Indice pondéré par la capitalisation

La plupart des indices récents sont calculés en fonction de la capitalisation boursière des constituants. A une date de référence, si une valeur représente 8% de la capitalisation de toutes les valeurs de l'indice, elle pèsera 8% de l'indice.

La logique est que plus une valeur "pèse", plus elle doit être représentée dans l'indice : ainsi, Total (environ 98 milliards d'euro de capitalisation au 13/11/2009) aura un poids plus important dans l'indice CAC 40 que Vallourec (environ 6,7 milliards d'euro de capitalisation au 13/11/2009).

Aujourd'hui, la plupart des indices pondérés par la capitalisation utilisent la capitalisation flottante, c'est-à-dire la fraction du capital disponible à l’achat ou à la vente. La logique sous-jacente est d'exclure la partie du capital inaccessible aux investisseurs en bourse (fraction détenue par un Etat par exemple).

Les sociétés concevant et calculant les indices introduisent des règles pour limiter le poids d'une valeur dans l'indice. Ainsi, le poids d’une société dans le CAC 40 est plafonné à 15% de la capitalisation flottante de l’indice. Cette disposition évite qu'une valeur prenne une importance telle dans l'indice que ce dernier n'est plus correctement diversifié.

Indice équipondéré

Les indices équipondérés, comme leur nom l'indique, affectent un poids égal à chacune des valeurs les composant, quelle que soit leur taille.

Le S&P 500 est un indice pondéré par la capitalisation, mais existe également dans une version équipondérée : les constituants sont les mêmes, mais dans la version équipondérée, chacun des 500 titres pèse 1/500ème, soit 0,2% de l'indice. Leur poids est donc déconnecté de leur capitalisation boursière, dès lors qu'ils sont dans l'indice S&P classique.

Les inconvénients des indices traditionnels

Les grands indices, utilisés notamment comme sous-jacents par les ETF, sont en majorité des indices pondérés par la capitalisation, basés sur le flottant. Depuis quelques années, des praticiens pointent sur les inconvénients structurels de ces indices : ils donneraient une trop grande importance aux valeurs ayant le plus monté, ces valeurs étant les plus susceptibles de baisser après une hausse en raison d'une tendance supposée de retour à la moyenne ; et a contrario une trop faible importance aux valeurs ayant le plus baissé, ces valeurs étant les plus susceptibles de monter après une baisse, toujours en raison de cette tendance supposée de retour à la moyenne. Les indices traditionnels s'infligeraient donc une double peine, qui viendrait diminuer leur performance de 2 à 3% par an selon Research Affiliates (voir ci-dessous).

Dans les cas extrêmes (bulles spéculatives), la part relative du secteur en vogue augmente au sein des indices, qui connaissent alors une forte hausse et une baisse toute aussi brutale quand la bulle éclate : ce fut le cas lors de l'explosion de la bulle internet, les indices étant de plus en plus concentrés sur les valeurs technologiques au fur et à mesure de la hausse de celles-ci.

Une réponse possible : les indices fondamentaux

Research Affiliates (RA), une société fondée en 2002 par Rob Arnott aux Etats-Unis, a développé une méthodologie simple de pondération des valeurs dans des indices, donnant naissance aux indices RAFI (Research Affiliates Fundamental Index,indice fondamental Research Affiliates).

Au sein de l'univers de toutes les sociétés cotées, le cas échéant restreint à une zone géographique (USA, Europe, Zone Euro, Marchés Emergents), la méthode RAFI considère 4 données, qualifiées de fondamentales : le chiffre d'affaires, le dividende, le cash flow et l'actif net, chacune pèsant 25% du score global de chaque société. Pour la dimension chiffre d'affaires, si le dernier CA publié d'une société pèse 2% du CA cumulé des valeurs de l'univers, son poids sera de 2%. On fait ensuite la moyenne arithmétique des 4 poids et on obtient la pondération de la société dans l'indice. On le voit, à aucun moment la capitalisation n'intervient directement, contrairement aux indices pondérés par la capitalisation, pour lesquels la capitalisation est un élément déterminant.

Selon RA, cette approche permet d'obtenir une diversification de l'indice suffisante dans toutes les configurations de marché, notamment et surtout dans les marchés spéculatifs, dans lesquels se forment des bulles sectorielles.

RA a simulé les résultats de cette approche par rapport à ceux des indices MSCI, utilisés de façon usuelle par les sociétés de gestion sur la période allant de 1984 à juin 2009. Le rendement annualisé du RAFI Europe est de 14,4% (contre 11,5% pour le MSCI Europe) pour une volatilité annualisée de 18% (contre 17,7% pour le MSCI Europe); Le rendement annualisé du RAFI All World est de 9,15% (contre 4,41% pour le MSCI AC World Value et 3,69% pour le MSCI AC World) pour une volatilité annualisée de 16,99% (contre 17,14% pour le MSCI AC World Value et le 16,93% pour le MSCI AC World).

La même simulation faite au niveau des marchés nationaux dits développés donne les mêmes résultats en faveur de la méthodologie RAFI, à l'exception de l'Autriche et de la Suisse.

Même (très net) avantage pour le RAFI Emerging Markets par rapport au MSCI EM Markets sur la période 1994-Juin 2009, avec un rendement annualisé de 15,1% (contre 4,7% pour le MSCI EM)et une volatilité de 25,3% (contre 24,9% pour le MSCI EM).

On notera qu'il ne s'agit pas dans cette approche de choisir des valeurs différentes, mais de les pondérer différemment.

Un rebalancement annuel pour les indices RAFI

Le fait de ne pas rebalancer (le rebalancement d'un portefeuille consiste à rétablir périodiquement les poids initiaux de ses composants) est la cause principale de l'alpha systémique négatif selon RA : ne pas rebalancer revient à courir après les valeurs en hausse, que RA considère sur-valorisées et à délaisser les valeurs en baisse, que RA considère comme sous-valorisées. Par construction, toujours selon RA, les indices pondérés par les capitalisations allouent plus de poids aux valeurs ayant le plus monté et moins de poids aux valeurs ayant le plus baissé.

La discipline de rebalancement permet en théorie de repositionner le portefeuille sur les secteurs ayant le plus baissé et de le faire bénéficier de la hausse de ces secteurs, si la théorie du retour à la moyenne se vérifie (et elle se vérifie fréquemment), et vice versa. Les indices RAFI sont rebalancés une fois par an, après la clôture du 3ème vendredi de mars. Le dernier rebalancement de l'indice RAFI US 1000 a par exemple fait passer le poids des financières de 15,9% à 26% du total sur les seuls 4 critères fondamentaux utilisés, alors que leur poids dans le Russell 1000 est passé, lors du rebalancement du 26 juin 2009, de 13,2% à 13,7%

Un "avantage" contesté par de nombreux praticiens

Depuis la publication de l'article exposant la théorie de la supériorité des indices fondamentaux sur les indices traditionnels pondérés par les capitalisations (Fundamental indexation, par Robert D. Arnott, Jason Hsu et Philip Moore dans le numéro de mars/avril 2005 du Financial Analysts Journal), de nombreux praticiens ont contesté cette supériorité.

Pour Tom Coyne, si cette anomalie existe réellement, les arbitrageurs la feront disparaître en achetant les valeurs sous-évaluées et en vendant les valeurs surévaluées au sens des indices RAFI.

Pour Paul Kaplan (Why fundamental indexation might - or might not - work, Financial Analysts Journal, Janvier/février 2008), l'hypothèse selon laquelle les poids affectés par l'approche fondamentale aux titres dans les indices RAFI seraient de meilleurs estimateurs des poids liés à la juste valeur de ces titres, lesquels sont indépendants de la capitalisation, n'est vraie que très rarement : d'après lui, les erreurs dans l'estimation de la juste valeur sont elles-mêmes des déterminants des valorisations. Selon Kaplan, l'approche fondamentale possède un biais value que nie Research Associates, puisqu'à aucun moment les ratios communément employés par l'approche value (notamment le ratio cours sur actif net) n'est utilisé pour déterminer le poids des titres dans l'indice.

La supériorité de l'approche fondamentale est donc loin d'être acceptée au sein de la communauté des chercheurs et des praticiens.

Comment s'exposer aux indices RAFI ?

Les indices RAFI sont exploités par FTSE et servent de sous-jacents à à 4 ETF gérés par Invesco Powershares et à 2 ETF gérés par Lyxor.

Côté Invesco Powershares, on pourra s'exposer au FTSE RAFI Europe (frais de gestion 0,75%), au FTSE RAFI Developed Europe Mid-Small (frais de gestion 0,75%) pour les petites et moyennes valeurs, au FTSE RAFI US 1000 (frais de gestion 0,75%) pour les grandes capi américaines et au FTSE RAFI Developed 1000 (frais de gestion 0,75%), pour une exposition mondiale.

Côté Lyxor, on pourra s'exposer au FTSE RAFI Europe (frais de gestion 0,6%) et au FTSE RAFI US 1000 (frais de gestion 0,6%).

Ces indices sont-ils meilleurs ?

Il est prématuré de conclure de manière tranchée. Intuitivement, l'approche est séduisante. Les résultats du back-test le sont tout autant, mais rares sont les backtests présentant des résultats n'allant pas dans le sens de la thèse défendue.

Avant d'investir, il conviendra notamment de comparer un ETF dont le sous-jacent est un indice fondamental avec un autre ETF dont le sous-jacent est le pendant "classique" Value pour déterminer empiriquement si le fondamental est supérieur au traditionnel (FTSE RAFI Europe vs MSCI Europe Value par exemple). En effet, les frais de gestion des ETF répliquant des indices fondamentaux sont plus élevés que ceux des ETF répliquant des indices traditionnels pondérés par les capitalisations. Si les résultats des backtests effectués par RA se répètent, l'ETF "fondamental" battra l'ETF "traditionnel" Value.

Philippe Maupas , CFA, CAIA, CIPM, est co-fondateur de Quantalys et éditorialiste.