Asset Management : quelle est la place de l’Europe dans une industrie déjà mondialisée ?

Publié le 18/01/2022 - Groupe Quantalys
Lors de l’Université d’été de l’Asset Management, Jean-François Bay, Directeur Général chez Quantalys, a apporté des précisions sur les dynamiques de l’industrie de l’Asset Management dans le monde, sur la place de l’Europe depuis la crise sanitaire et sur les enjeux futurs de ce secteur face aux défis à relever : Technologiques, climatiques, démographiques…

Asset Management : panorama mondial et forces en présence

Au niveau mondial, selon l’OCDE, l’industrie de l’Asset Management gère plus de 100 Trilliards de capitaux (ou 100 000 Milliards USD) à fin 2020 soit une part de marché de 36% vis-à-vis de l’ensemble des capitaux gérés dans le monde (près de 300 Trilliards USD) par tous les investisseurs que ce soit les fonds de pension, les institutions publiques, les fonds souverains, la gestion de fortune, les investisseurs individuels… Cette part de marché de la gestion collective face aux investissements effectués par les investisseurs en direct n’a cessé de croître sur 15 ans passant de 31% à 36%. Ceci correspond à une dynamique de croissance +173% soit une croissance significative des actifs de +8% par an ! Autrement dit, quand les investisseurs décident d’investir, ils ont de plus en plus tendance à confier leurs capitaux à des professionnels de la gestion collective. Autre constat : la part gérée par les investisseurs individuels dans le monde (64% de l’ensemble) est supérieure à celle gérée par des institutionnels (33%) et représente une source de forte croissance ces dernières années pour l’industrie de la gestion. En effet, les particuliers et les grandes fortunes connaissent une forte croissance de leur épargne ou de leurs actifs partout dans le monde alors que les investisseurs institutionnels (caisses de retraite, fonds publiques…) ont été moins dynamiques (pour des raisons économiques liées à la montée du chômage ou aux besoins de trouver des capitaux par des états de plus en plus endettés). Parmi les 100 Trilliards de capitaux gérés par l’industrie de la gestion collective mondiale, les fonds d’investissements captent 53% du stock (donc environ 54 Trilliards USD) et les mandats de gestion 47%. La gestion des fonds représentent ainsi une dynamique de croissance beaucoup plus forte que la gestion sous mandats, et au sein des fonds d’investissement, ce sont les segments des ETF et celui des fonds d’actifs tangibles (fonds immobilier, fonds de private equity…) qui connaissent la plus forte croissance sur 15 ans avec +333% et +233% respectivement.


Source : Quantalys – Credit Suisse – Towers Watson – Fin 2020


Fund Management : la place de l’Europe

Si l’on fait une focus uniquement sur l’industrie des Fonds et ETF (soit près de 54 Trilliards USD dans le monde à fin 2020 et près de 60 Trilliards au premier semestre 2021), hors mandats de gestion, on constate que cette industrie des Fonds, selon l’OCDE et l’EFAMA (European Fund and Asset Management Association), est dominée par les États-Unis avec une part de marché de 48% (ou près de 30 Trilliards USD) suivis par l’Europe avec 32% des actifs gérés dans le monde via des Fonds (ou 19 Trilliards USD) . La Chine avec 4% (ou 2.5 Trilliards USD) se classe désormais à la troisième place et connait une forte croissance ces dernières années et vient de passer devant l’Australie ou le Japon. Le marché nord-américain domine l’industrie par le fait que cette industrie américaine est plus ancienne et plus mature car elle s’est structurée après le 2nd Guerre Mondiale. Rappelons par exemple que la société Fidelity voit le jour en 1946 à Boston. Il faut attendre les années 60 pour voir le même phénomène en Angleterre et les années 90 pour que nos anciennes boutiques comme la Financière de l’Echiquier ou les filiales des banques se constituent.

Par ailleurs, la raison de la forte croissance des encours aux Etats-Unis tient au fait que la majorité des actifs gérés sur ce marché (55%) est gérée par des fonds Actions plus sensibles aux dynamismes de l’effet de marché et bénéficient d’un effet accélérateur quand les marchés croissent. En Europe, la répartition des actifs est bien plus diversifiée qu’aux USA avec 32% seulement des actifs gérés via dans les fonds Actions, 22% dans les fonds Obligataires, 21% dans les fonds Allocation et 8% par des fonds Monétaires.


Source : Quantalys – EFAMA – OCDE – Q1 2021

 

Rapportés au PIB mondial, le poids du marché de l’asset management par zone géographique, montre un pourcentage des actifs bien supérieur au PIB dans les pays développés comme les USA, l’Europe, l’Australie… Le marché nord-américain (USA + Canada) représente ainsi 50% du marché mondial de l’Asset Management pour 26% du PIB mondial (rapport du PIB d’un pays par rapport au PIB mondial). En Europe, les ratios sont de 33% des actifs gérés dans le monde pour 22% du PIB mondial. En revanche, en Asie, la Chine pèse 15,4% du PIB mondial mais seulement 4% des actifs gérés, illustrant la marge de progression de l’industrie de l’Asset Management dans cette zone demain !

En ce qui concerne l’Europe, on constate que la part de marché cumulée du Luxembourg et de l’Irlande atteint 14% de l’Asset Management au niveau mondial, bien loin de la somme du PIB de ces deux pays ! En fait, cet écart s’explique par le fait que ces pays sont aujourd’hui des plateformes administratives de gestion et de distribution des fonds UCITS pour l’Europe entière.

Les dynamiques de l’industrie en Europe dans la crise

En Europe, 50% du marché des fonds d’investissement environ est constitué par les célèbres fonds UCITS ouverts au public et distribués en Europe ou fonds « cross-border », soit environ 10 Trilliards USD. L’autre moitié concerne les fonds dédiés, spécialisés, institutionnels… En 2021, ce marché s’annonce comme très dynamique, stimulé à la fois par un effet de marché (+400 milliards € liés à la performance des marchés à fin juin) et un effet de collecte nette (+250 milliards € liés aux flux positifs à fin juin). Avec ces chiffres, 2021 apparait comme un millésime record pour l’industrie européenne en général et également en terme de « mix-produit » avec une collecte record sur les fonds Actions qui captent les trois-quart de la collecte. En effet, depuis la sortie de la crise et la sortie des vaccins (novembre 2020), on constate une collecte historique de +30 milliards d’euros par mois sur les fonds Actions alors qu’habituellement les fonds Actions collectaient en moyenne + 30 milliards d’euros par an ! Cette collecte se fait au détriment des fonds monétaires et obligataires qui collectent moins tant en absolu qu’en relatif.

Bizarrement, les investisseurs européens ne se tournent pas sur les fonds Actions Europe mais plutôt vers les fonds Actions Monde. En effet, on constate une décollecte de -26 milliards d’euros en fin Juin 2021 sur la catégorie des fonds Actions Europe. Les investisseurs européens privilégient plutôt les fonds Actions Monde thématiques ou sectoriels qui captent 1 euro sur 2 de la collecte nette sur les Actions (+70 milliards €). La croissance de ce segment de marché est de + 80% sur un an en Europe. Autre tendance : la collecte sur les fonds ISR (+86 milliards € en 2021) avec là encore plus d’1 euro sur 2 sur ces fonds ayant intégré une approche ESG, illustrant une vraie bascule de l’industrie en faveur de la finance durable !

En effet, les investisseurs européens veulent des fonds plus impactants, c’est-à-dire des fonds articles 8 ou 9 selon la nouvelle classification européenne SFDR, plutôt que les fonds non-ISR ou moins impactants (Article 6). En effet, depuis 2020, deux tiers des flux vont vers les fonds ISR avec un avantage pour les plus impactants (Article 9). C’est pourquoi les sociétés de gestion proposent de plus en plus de fonds « verts foncés » et plus granulaires sur des thématiques : Environnement, climat, énergies renouvelables, économie circulaire, Eau, forêt…. La réglementation telle que SFDR pousse ainsi les réseaux de distribution à réagir en conséquence. Les États, les banques centrales, les gouvernements ou les universités se sont emparés du sujet et martèlent l’importance de l’ISR.

Autre élément remarquable : depuis la sortie de crise, les investisseurs privilégient la gestion active voire très actives avec une collecte cumulée de +191 milliards sur les fonds actifs pour une collecte cumulée de +114 milliards sur les ETF et fonds indiciels depuis janvier 2020. Néanmoins, en termes de dynamique de croissance, les ETF continuent de gagner des parts de marché avec une croissance de 20%.

Enfin, pendant cette période de crise, les investisseurs européens ont eu tendance à privilégier les grands gérants mondiaux qui captent plus de 70% de la collecte nette sur 2021, illustrant la force de frappe de ces acteurs en terme de distribution de fonds.

2021 : les gérants américains raflent la mise, posant la question de la souveraineté européenne de l’éco-système financier

Depuis le début de l’année 2021, on remarque une exacerbation de la domination des États-Unis. En effet, les 5 plus gros collecteurs en Europe ont capté près de 50% de la collecte nette ! Et dans le classement de tête, les gérants américains sont très bien représentés (BlackRock, J.P. Morgan, Vanguard sont en tête avec respectivement +65 Milliards €, +18 Milliards € et +17 Milliards € à fin juin 2021).

En dynamique, sur les fonds Cross-border UCITS pour le premier semestre 2021, on constate une collecte de plus de 300 Milliards d’€ avec la majorité de la collecte se retrouvant sur les fonds luxembourgeois (+180 Milliards d’€) et sur les fonds Irlandais (+90 Milliards €) alors que sur la même période les fonds domiciliés en France décollectent de -40 Milliards €.

Le marché européen est en fait largement dominé par les gérants américains, surtout pour les ETF. Les acteurs américains dominent le marché européen de la tête et des épaules, ou plus exactement sur les actifs gérés (près de 3 000 milliards € pour les gérants US), sur le nombre de fonds (près de 30 000 fonds), sur les flux (en moyenne +171 milliards € sur la période par an) et se positionne en troisième pour les fonds ESG en Europe derrière la France (avec 51% des fonds gérés par les français sont aujourd’hui des fonds ISR).

Le Royaume-Uni traine derrière en termes d’encours (654 Milliards €) ou de collecte (+8 milliards €). En revanche, les gérants suisses profitent des tendances en Europe avec un bon un bon positionnement sur l’ISR (20% des actifs gérés), des actifs importants, un grand bassin de fonds (plus de 16 000 fonds) et une bonne qualité de gestion (les fonds gérés par des gérants suisses sont notés en moyenne 3.02 étoiles par Quantalys contre en moyenne 2.89 étoiles pour les gérants français).

Taille des encours, capacité d’investissement en Europe, recherche financière, recherche extra-financière etc… La question de la souveraineté de l’Europe se pose clairement. En prenant l’exemple uniquement des parts de marché des fournisseurs d’indices des ETF distribués en Europe, on retrouve 4 grands acteurs américains (MSCI, S&P Global, Bloomberg Barclays, FTSE Russell) qui trustent près de 90% du marché, que ce soit les indices Actions comme les indices Obligataires. Les conséquences sur les normes comptables, les réglementations financières ou les normes et indicateurs extra-financiers demain seront influencés par la finance américaine !

 

Conclusion : Les 10 enjeux futurs pour l’industrie de la gestion

En conclusion, ces données et analyses nous permettent d’identifier 10 grandes tendances pour l’industrie de la gestion en Europe :

  1. La monté en puissance des investisseurs individuels face aux institutionnels : la dynamique de constitution d’épargne, accélérée dans la crise, de la réorientation de cette épargne liquide vers les investissements productifs (unités de compte…) va aiguillonner la distribution de fonds dans les prochaines années
  2. La digitalisation de l’industrie : révélée pendant la crise, les investisseurs veulent pouvoir accéder et gérer leur patrimoine à tout instant, partout et via tous les supports technologiques (phénomène ATAWAD). Les données, analyse et outils seront clef pour engager les investisseurs, leurs conseillers financiers et les aider à prendre les bonnes décisions.
  3. « Goal-based investing » : les investisseurs veulent une approche « solution » plutôt qu’une approche « produit ». Ils veulent pouvoir se projeter et décider en fonction de leurs propres objectifs financiers plus que des produits ou des marchés financiers. D’où le succès de la gestion pilotée et des solutions retraites (PER…).
  4. « Impact investing » : l’ISR prend une place plus importante dans l’investissement à long terme par des investisseurs de plus en plus conscients des enjeux futurs et qui souhaitent flécher leurs investissements vers ces besoins de financement (environnement, climat, énergies nouvelles, eau, forêt, biodiversifté…).
  5. « Thematic investing » : les investisseurs s’approprient les mutations de long terme pour transformer un risque en opportunités d’investissement visibles et durables telles que le vieillissement de la population, la sécurité, l’intelligence artificielle…
  6. Equity : le financement en fonds propres sera plus important et plus adapté au développement des entreprises futures que le financement par la dette.
  7. ETF : facilité, liquidité, lisibilité, adapté aux plateformes digitales… L’ETF s’est imposé comme un outil de gestion incontournable en Europe.
  8. Prime d’illiquidité et inflation : dans un environnement de croissance molle et de taux d’intérêt bas voire négatifs, les investisseurs vont continuer à se tourner vers les actifs illiquides tangibles (immo, infra, private equity, private debt…). C’est aussi un moyen de retrouver du rendement, de l’indexation à l’inflation et de sortir de la frénésie des marchés cotés.
  9. Education : l’éducation et de la pédagogie seront au couer de l’accompagnement des réseaux de distribution et de l’engagement des investisseurs finaux aux solutions proposées. Si l’on veut que les investisseurs finaux adhèrent, orientent leur épargne liquide peu rémunérée vers les investissements productifs et ne deviennent pas des traders sur le Bitcoin, seule la pédagogie peut durablement les amener à devenir des investisseurs stables.
  10. Les blockbusters : l’industrie de la gestion, comme l’industrie du cinéma, devient une industrie de la distribution nécessitant des ressources de plus en plus importantes et entrainant une concentration des acteurs. La création de marques bien identifiables par les investisseurs , notamment en B2C, semble être inévitable.

3 bonnes nouvelles comme autant de perspectives pour notre industrie :

  1. On constate un stock d’épargne liquide non rémunéré très important en France, en Europe et dans le monde. Par exemple, la Banque de France relève une épargne financière de précaution de plus de 1700 Milliards € (la somme des Livrets A et autres produits d’épargne liquide et dépôts à vue) et de plus de 2000 Milliards € en Assurance-vie (stock majoritairement investi sur le Fonds en euros). Aux États-Unis, en 2021, le taux d’épargne des ménages est à un niveau historique (27,6% du revenu disponible des ménages américains). Le potentiel de capitaux à réorienter dans le monde est donc colossal.
  2. On constate en même temps des taux d’intérêt durablement bas voire négatifs dans le monde et une percée du niveau d’inflation. Les derniers chiffres aux Etats-unis font apparaitrent sur le mois d’Aout une inflation à +5.3% en rythme annualisé, une hausse des prix à la production à +8.3% et une hausse des salaires à +4% (un record sur les trois indicateurs depuis plus de 10 ans). Les investisseurs ont beaucoup d’épargne liquide mais perçoivent des rendements négatifs nets d’inflation ! Pas possible se s’endormir sur son épargne…
  3. On constate des besoins de financement dans le monde, avec des Etats sur-endettés qui auront tendance à se désengager et à compter sur le financement privé : transformation digitale, sécurité/cyber-sécurité, économie spatiale, transition climatique, vieillissement des populations, relocations des industries et des chaines de production … Les besoins de financement sont colossaux partout dans le monde comme autant d’opportunités d’investissement. Depuis les vingt dernières années, les investisseurs européens ont manqué certaines tendances clés telles que la Tech (avec une domination américaine) ou bien la Mondialisation (qui a plutôt profité à la Chine). Espérons que, pour les vingt prochaines années, les investisseurs et les sociétés de gestion européennes profitent de ces grandes mutations futures et développent des champions dans ces domaines.
Groupe Quantalys Société.