Garder l'alpha, éviter les baisses

Publié le 10/12/2009 - Philippe Maupas
Retour sur quelques fonds récents visant à extraire l'alpha d'un gérant tout en évitant les baisses de marché

Comme après toute période de baisse brutale des marchés actions, l'appétit pour le risque est en chute libre et les sociétés de gestion rivalisent d'inventivité pour inciter les investisseurs privés à s'exposer de nouveau.

Ces derniers ont en effet vraisemblablement manqué le fort rebond des marchés actions depuis mars 2009 et craignent une correction, d'autant plus que les récentes turbulences à Dubaï ou en Grèce et les discours alarmistes sur la fin des mesures publiques de soutien à l'économie et la future et inéluctable remontée des taux contribuent à la nervosité générale.

Redonner le goût du risque aux investisseurs privés

On assiste ainsi depuis quelques mois à la montée en puissance d'un nouveau concept en matière de gestion, visant à préserver l'alpha généré par un gérant actions phare en couvrant de façon opportuniste le risque de marché.

Cette approche est différente dans sa conception de celle employée par les fonds réactifs (comme Aliénor Optimal, Convictions Premium ou Dorval Convictions), qui font varier la pondération des actions et des obligations dans leur portefeuille en fonction de leurs anticipations sur les grandes classes d'actifs.

Quelques explications : dans un fonds actions, le meilleur gérant du monde ne saura éviter une baisse quand le marché chute. Même s'il garde une poche de liquidités, elle ne pourra jamais être suffisante pour compenser la baisse de la poche exposée aux actions. Prenons l'exemple d'un fonds qui serait exposé à 75% en actions et 25% en liquidités pendant une année durant laquelle les actions en portefeuille baissent de 30% et les liquidités rapportent 2% : la performance du fonds serait alors de -22% avant frais (0.75 x -30 + 0.25 x 2).

Imaginons dans le même temps que le marché sur lequel le gérant intervient soit en baisse de 35%, contre une baisse de 30% pour le portefeuille du gérant, la surperformance de ce dernier sera de 5%. Piètre consolation pour l'investisseur, sauf si le portefeuille était couvert contre le risque de marché, auquel cas, hors frais de couverture, la performance de la partie actions du portefeuille aurait atteint 5% (-30 - (-35)). Hélas, dans un fonds actions traditionnel, le gérant ne couvre pas son risque de marché.

En revanche, dans un fonds diversifié au sens de la classification de l'AMF, il est tout à fait possible de couvrir de façon opportuniste le risque de marché, en utilisant des produits dérivés. Bien entendu, on ne gagne pas à tous les coups : le gérant en charge de la couverture doit anticiper correctement les évolutions des marchés actions et au bon moment. Et le gérant en charge de la partie actions doit être plus performant que l'indice utilisé pour couvrir le risque de marché.

La structure Maître/Nourricier

Un fonds "Nourricier" est investi en totalité dans un autre fonds, dit "Maître" et peut intervenir sur d'autres marchés. Le fonds Nourricier a ses propres frais de gestion, qui s'ajoutent à ceux du fonds Maître dans lequel il est investi.

Par exemple, un fonds Nourricier ayant des frais de gestion de 2% et investissant dans un fonds Maître ayant des frais de gestion de 1% aura des frais de gestion totaux de 2 + 1 = 3%.

Quand le fonds Maître est soumis à une commission de surperformance, le fonds Nourricier y est de facto également soumis et la supportera quand elle est effectivement perçue par le Maître.

Cette structure Maître/Nourricier est employée par deux des trois fonds analysés ci-après.

Intrinsèque Flexible

Ce fonds géré par FinanceCom Asset Management est un nourricier de la part I du fonds Valeur Intrinsèque, géré par David Pastel de Pastel & Associés (frais de gestion maxi de 1,25%). Noté 5 étoiles par Quantalys au 30 novembre 2009, Valeur Intrinsèque surperforme sur longue période la moyenne des fonds de la catégorie Actions Monde, ce qui ne l'a pas empêché de perdre plus de 55% entre le 15 juin 2007 et le 6 mars 2009.

FinanceCom Asset Management est une société de gestion de portefeuille entrepreneuriale créée en 2008 par Jean-Marc Divoux et Jean-Philippe Scholler avec comme actionnaire de référence le groupe FinanceCom, l’un des principaux groupes financiers marocains. Divoux et Scholler sont des spécialistes de la gestion quantitative et structurée.

D'après le prospectus du fonds, FinanceCom AM peut intervenir "sur les marchés à terme pour couvrir de manière flexible l'exposition aux marchés actions sur lesquels est investi le fonds Maître, ceci afin de maîtriser le risque de marché dans les périodes de baisse des marchés actions".

Le modèle de gestion conçu par FinanceCom AM vise à gérer en permanence le couple rendement/risque en ajustant le niveau d'exposition du fonds aux marchés actions de la zone euro, britannique et nord-américain, sur lesquels Valeur Intrinsèque est exposé : FinanceCom AM suit les tendances et la volatilité des grands indices de ces 3 zones et augmente le niveau de couverture au fur et à mesure que les marchés baissent et la volatilité s'accroît. A l'inverse, au fur et à mesure de la remontée des marchés, le niveau de couverture diminue progressivement, d'autant plus vite que la volatilité est faible.

La conjonction idéale pour Intrinsèque Flexible ? Une surperformance de Valeur Intrinsèque par rapport à son indice de référence reconstitué et un bon fonctionnement de la couverture de FinanceCom AM. En revanche, si Valeur Intrinsèque sous-performe son indice de référence reconstitué et la couverture de FinanceCom AM est soit insuffisante, soit dans le mauvais sens, la punition est double.

L'attrait de cette approche ? Elle ne repose sur aucun pari de la part des gérants, aucune anticipation macro-économique, mais sur l'application d'un modèle quantitatif constamment ajusté.

Depuis son lancement (le 1er juillet 2009), la performance du fonds est très corrélée à celle de Valeur Intrinsèque, tout en étant légèrement inférieure. Le marché actions étant haussier depuis ce lancement, il faudra attendre une phase baissière suffisamment longue pour évaluer la qualité du modèle de couverture. Vous accédez à une comparaison de la performance de la part P d'Intrinsèque Flexible et de la part I de Valeur Intrinsèque ici.

Les frais de gestion maxi de la part P d'Intrinsèque Flexible s'élèvent à 2% (soit un total maxi de 3,25%), ceux de la part I s'élèvent à 1% (soit un total maxi de 2,25%).

Intrinsèque Flexible n'a pas prévu de commission de surperformance, mais est soumis à celle de Valeur Intrinsèque, qui est de 20% de la performance de l’OPCVM au-delà de 12% annuels, mécanisme qui nous semble tout à fait satisfaisant pour les porteurs de parts.

On notera qu'un reporting quotidien mentionnant notamment le taux de couverture est disponible sur le site internet de FinanceCom AM, ce qui est un excellent point. A la date de rédaction de cet article, la couverture est nulle.

Tricolore Rendement Flexible

On ne présente plus Tricolore Rendement, l'inamovible et insubmersible paquebot Actions France Value d'Edmond de Rothschild Asset Management cogéré par Pierre Nebout et François Breton.

Avec une performance annualisée de 10,44% (pour la part C) entre le 8 janvier 1999 et le 4 décembre 2009, c'est un fonds remarquable qui pèse plus de 3 milliards d'euros à la date de rédaction de cet article. Ce qui ne l'a pas empêché de perdre plus de 42% entre le 15 juin 2007 et le 6 mars 2009.

Trop volatil pour certains investisseurs ? Tricolore Rendement Flexible a été conçu pour eux.

Tricolore Rendement Flexible est investi en totalité dans la part I (frais de gestion maxi de 1%). D'après son prospectus, le fonds cherche à limiter le risque actions "en mettant en place des stratégies de couverture par le biais d’interventions sur les marchés à terme." Il peut être exposé entre 20% et 80% aux marchés d'actions, donc est structurellement moins exposé que son fonds maître, sans pouvoir réduire son exposition à zéro.

Michaël Nizard (Gérant Spécialiste Dérivés)et Françoise Rochette (Responsable de la Gestion Diversifiée au sein du pôle Recherche et Allocation Globale) gèrent à la fois la couverture de manière absolue (le taux d'exposition du fonds est de 70% d'après le reporting au 30 novembre 2009) et relative, en pariant sur la surperformance de certains indices par rapport à d'autres. Ils peuvent également être amenés à vendre des options pour encaisser les primes. Les gérants ne se contentent donc pas de gérer l'exposition du fonds, mais utilisent d'autres moteurs de performance. A noter qu'un moteur de performance peut conduire à une sur-performance comme à une sous-performance.

Les frais de gestion maxi de la part A de Tricolore Rendement Flexible s'élèvent à 1,15% (soit un total maxi de 2,15%), ceux de la part I s'élèvent à 0,15% (soit un total maxi de 1,15%).

Le reporting mensuel de ce fonds mentionne le taux d'exposition sans qu'il soit suffisamment mis en valeur, et sans en montrer l'exposition, ce qui nuit à l'évaluation de la qualité des décisions de couverture.

On pourra comparer ici les performances de Tricolore Rendement et de Tricolore Rendement Flexible. Sans surprise, à la date de rédaction de cette analyse, le premier est largement devant le second, mais Tricolore Rendement Flexible a une évolution beaucoup moins heurtée.

On notera que sur le même modèle, Edmond de Rothschild a lancé Europe Rendement Flexible, fonds nourricier d'Europe Rendement (comparaison des performances ici).

Mandarine Reflex

Un concept encore plus original est celui de Mandarine Reflex : créé le 17 juin 2009, géré nominalement par Mandarine Gestion, mais par délégation par Edmond de Rothschild Asset Management (qui est donc le gestionnaire effectif du fonds), Mandarine Reflex n'est pas un fonds maître : il investit principalement en OPCVM gérés ou promus par Mandarine Gestion, qui sont spécialisés sur les marchés actions européens.

Mandarine Gestion a été créée en décembre 2007 par Marc Renaud,qui était auparavant l'emblématique directeur général de CCR Actions. Cette société de gestion indépendante adossée à des actionnaires de poids (Financière Dassault, UFG IM et AMlab) n'a pas vocation aujourd'hui à faire de l'allocation d'actifs : elle gère une gamme de fonds Actions (Mandarine Valeurs, Mandarine Opportunités et Mandarine Engagements) et un fonds d'obligations convertibles, Mandarine Mix.

Mandarine Reflex repose sur un style de gestion discrétionnaire combinant le stock picking déployé au sein des OPCVM actions de Mandarine Gestion et une allocation d’actifs active. Le niveau d'exposition au risque actions européennes va de 0 à 60% : il s'agit d'un fonds à orientation prudente à équilibrée, qui se prive délibérément de la possibilité de capter 100% de la hausse des marchés actions pour mieux protéger le capital en phase de baisse.

Edmond de Rothschild AM gère donc à sa convenance le choix des OPCVM de Mandarine Gestion d'une part, pouvant favoriser différents styles selon ses anticipations (Mandarine Valeur, géré par Marc Renaud, a un style Value et investit sur l'Europe, Mandarine Opportunités, géré par Joëlle Morlet-Selmer et Diane Bruno, recherche plutôt des valeurs françaises ayant des perspectives de croissance), le niveau de couverture dans le respect d'un taux d'exposition allant de 0 à 60% d'autre part. Autre possibilité : la mise en place de stratégies opportunistes sur les taux et les devises. L'équipe de Françoise Rochette chez EDRAM a donc une palette de moteurs de performance encore plus large que pour Tricolore Rendement Flexible, le fonds analysé ci-dessus.

Le reporting mensuel de Mandarine Reflex fournit une évolution de l'exposition du fonds au marché actions, ce qui permet d'analyser la pertinence des décisions de couverture.

Les frais de gestion maxi de la part P de Mandarine Reflex sont de 2%, ceux de la part I sont de 1%. Sachant que ceux des parts I de Mandarine Valeurs et de Mandarine Opportunités sont à 0,90%, Mandarine a fort sagement limité les frais cumulés de fonctionnement et de gestion fixes de Mandarine Reflex à 2% pour la part P et 1% pour la part I.

Mandarine Reflex a prévu une commission de surperformance de 15% au-delà d’une performance positive supérieure à 5%. Par exemple, si le fonds enregistre une performance de 10%, le fonds ne gardera que 85% de la surperformance de 5% (10 - 5), soit 4,25%, et Mandarine Gestion aura droit à 15% de cette surperformance, soit 0,75% au titre des frais de gestion variables.

On notera que des commissions de surperformance sont prévues tant pour Mandarine Valeurs que pour Mandarine Opportunités (15% de la surperformance au-delà de celle de leur indice respectif, dividendes réinvestis et sous réserve que la performance annuelle du fonds soit positive, ce qui est un mécanisme que nous aimerions voir systématiquement appliqué) et que dans le cas où Mandarine Reflex, Mandarine Valeur et Mandarine Opportunités prélèvent une commission de surperformance, les frais effectifs totaux seront élevés. Mais en tout état de cause, la performance le sera également, et la structure des commissions de performance aligne les intérêts de la société de gestion et ceux des porteurs de parts.

On pourra comparer ici la performance de Mandarine Reflex, de Mandarine Valeur et de Mandarine Opportunités. Mandarine Reflex enregistre une hausse très inférieure à celle des 2 autres fonds, ce qui est tout à fait normal, avec des évolutions beaucoup moins heurtées. Mission accomplie jusque là, mais, comme pour les 2 fonds précédents, il convient d'attendre un cycle complet, donc une baisse des marchés actions, pour juger de la pertinence du modèle.

Philippe Maupas , CFA, CAIA, CIPM, est co-fondateur de Quantalys et éditorialiste.