Matières Premières : en avoir ou pas ?

Publié le 01/03/2010 - Philippe Maupas
Des vertus pour réduire le risque d'un portefeuille, mais une classe d'actifs très volatile

L'appétit phénoménal des géants émergents, notamment la Chine, pour les matières premières, ne fait que croître ; on entend des discours de plus en plus pessimistes quant à la pérennité de certaines matières premières fossiles (la théorie du "peak oil", qui sous-tend certains fonds d'investissement comme Sextant Peak Oil, envisage dans un futur proche que les réserves prouvées de pétrole commenceront de décroître) ; les fonds d'investissement répliquant la performance d'indices de matières premières sont de plus en plus répandus (sous forme d'OPCVM classiques ou d'ETF) ; le cours de l'once d'or fait la une des journaux.

Les matières premières sont dans l'air du temps comme elles ne l'ont jamais été, et semblent parées de toutes les vertus : quantité limitée + demande élevée = hausse garantie des cours.

Dans un récent document destiné aux professionnels*, Henry H. McVey, responsable de la Global Macro et de l'allocation d'actifs de Morgan Stanley Investment Management à New York, revient sur cette classe d'actifs en vogue. McVey utilise le GSCI - Goldman Sachs Commodity Index, pour représenter la classe d'actifs dans son analyse : cet indice est composé de matières premières énergétiques, de métaux industriels, de métaux précieux, de matières premières agricoles et de produits liés au bétail (voir la composition exacte ici).

Chacun des sous-jacents correspond à un contrat future, coté sur un marché réglementé, et permettant à des investisseurs de se positionner à l'achat ou à la vente sur le sous-jacent. Ces instruments financiers reflètent les anticipations à terme des investisseurs sur le cours de leur sous-jacent, à ce titre, ils permettent de s'exposer à ce cours.

Une bonne couverture contre l'inflation

McVey montre qu'historiquement (entre juillet 1959 et décembre 2004), les matières premières ont connu de bonnes performances en périodes de forte inflation, d'inflation en hausse ou de chocs d'inflation : dans ces 3 types de régime d'inflation, les actions et les obligations ont connu des performances négatives, là où les matières premières ont enregistré des hausses.

Un apport en matière de diversification en régime normal de marché

McVey a examiné l'apport de certaines classes d'actifs non traditionnelles à un portefeuille diversifié composé à 60% d'actions et 40% d'obligations (ci-après le portefeuille 60/40) dans différentes configurations de marché, en mesurant les corrélations de ces classes d'actifs avec le portefeuille 60/40.

La corrélation mesure le degré de co-mouvement et va de -1 (corrélation parfaitement négative, les 2 classes d'actifs évoluent à l'opposé l'une de l'autre) à +1 (corrélation parfaitement positive, les 2 classes d'actifs évoluent à l'identique l'une de l'autre). L'arithmétique d'un portefeuille fait que plus la corrélation entre ses composants est faible, plus le risque du portefeuille, mesuré par sa volatilité, est réduit.

De Janvier 1990 à Décembre 2009, pendant les périodes sans stress, la corrélation des matières premières avec le portefeuille 60/40 a été légèrement négative, à -0,04. Seules quelques classes d'actifs exotiques ont eu une corrélation inférieure : Global Macro/GTAA (-0,07), US TIPS/Obligations US indexées sur l'inflation (-0,10), hedge funds (-0,06) et volatilité (-0,47). En période sans stress, l'ajout des matières premières a donc permis de réduire le risque d'un portefeuille 60/40.

Mais moins en périodes de stress

De Janvier 1990 à Décembre 2009, pendant les périodes avec stress, la corrélation des matières premières avec le portefeuille 60/40 était positive, à 0,43. Seules 3 classes d'actifs ont une corrélation négative, les devises (-0,05), les sociétés foncières US (-0,30) et la volatilité (-0,69).

C'est donc malheureusement quand les marchés sont en phase baissière que la corrélation des matières premières avec le portefeuille 60/40 est la plus élevée, et donc que la contribution des matières premières à la réduction du risque est la moins élevée.

Des corrélations en hausse, une classe d'actifs volatile

En examinant l'évolution des corrélations des matières premières avec les marchés actions, McVey constate que celles-ci ont considérablement augmenté lors des 2 dernières années, particulièrement avec les marchés émergents. Elles sont d'ailleurs positives, alors qu'elles étaient négatives sur la majeure partie de la période étudiée.

En outre, les matières premières se sont montrées plus volatiles que la plupart des grands marchés actions dans la dernière décennie (Janvier 2000 à Décembre 2009), avec une volatilité annualisée supérieure à 25% (là où la volatilité des actions émergentes est légèrement supérieure à 20%). Ce sont les matières premières liées à l'énergie qui ont le plus contribué à cette forte volatilité (elles sont en effet responsables de plus de 92% de la volatilité de l'indice).

Les vents contraires du contango

Autre désavantage de l'investissement dans des futures sur matières premières, le contango. Derrière ce terme abscons se cache un coût supplémentaire lié au "roulement" de la position de l'investisseur. Les futures les plus liquides ont en effet une durée de vie limitée à quelques mois, et pour rester investi, il faut "rouler" la position dans un nouveau future.

La courbe des futures est généralement décroissante, ce qui permet de faire un profit en vendant la première position avant expiration à un prix plus élevé et en achetant le nouveau future à un prix plus faible (on parle alors de "déport" ou de "backwardation").

Inversement, quand la courbe des futures est croissante, le fait de rouler la position coûte de l'argent car on vend alors le premier future à un prix inférieur au prix d'achat du nouveau future (on parle alors de "report" ou de "contango").

Alors que le "roll return" (la performance due au roulement de la position) a été positif pour le GSCI durant les années 1980 et 1990 (surtout grâce aux matières premières liées à l'énergie), il est devenu négatif depuis le début des années 2000, venant réduire la performance totale du GSCI (les deux autres composants de la performance totale étant l'effet des prix spots des sous-jacents et le rendement du collatéral déposé auprès de la chambre de compensation, lié au niveau des taux d'intérêt). Tous les sous-secteurs de l'indice ont enregistré un "roll return" négatif sur la période allant du 1er Janvier 2000 au 1er février 2010.

Trop tard pour s'exposer aux matières premières ?

McVey formule l'hypothèse qu'après une décennie glorieuse, le cours des matières premières pourrait maintenant rester relativement stable. Il se fonde sur l'analyse du rendement passé de l'indice GSCI, caractérisé par la succession de phases haussières d'environ 9 ans (1971-1980 et 2001-2010) et de phases sans tendance de 10 à 15 ans (1956-1971 et 1980-2001).

Le cycle haussier actuel dure depuis plus de 8 ans, la hausse cumulée, de 158%, a atteint 70% de la hausse cumulée du précédent cycle haussier et la performance relative des matières premières par rapport aux actions commence à s'affaiblir.

En avoir ou pas ?

McVey conclue qu'il semble toujours pertinent de s'exposer à cette classe d'actifs, à hauteur de 5 à 7% d'un portefeuille diversifié de type 60/40 (voir ci-dessus). 7% lui semble être la limite haute, en raison de la volatilité élevée de cette classe d'actifs. McVey rappelle que les matières premières ont notamment des vertus pour protéger un portefeuille de l'inflation.

Second critère poussant à l'exposition aux matières premières, la diversification apportée au portefeuille, à savoir la réduction du risque en raison d'une corrélation peu élevée avec les autres classes d'actifs (même si, nous l'avons vu, cette corrélation est en hausse, notamment dans les phases baissières).

Comment s'exposer à cette classe d'actifs ?

Première solution, l'exposition indirecte, via des fonds actions investissant dans des sociétés des secteurs de l'énergie, des matières premières et de l'or par exemple (cliquez ici pour accéder aux fonds de cette catégorie Quantalys). Il s'agit d'une exposition indirecte, car le cours de ces sociétés est loin de répliquer celui des matières premières qu'ils exploitent : tout d'abord parce que la plupart d'entre elles ont plusieurs activités (extraction et raffinage par exemple), ou parce qu'elles peuvent se couvrir en vendant leur production à terme, pour se prémunir de trop grandes fluctuations des cours.

Deuxième solution, l'exposition directe en investissant dans un fonds répliquant l'évolution d'un indice matières premières : un nombre grandissant d'ETF est ainsi disponible (cliquez ici pour les visualiser). Il est également possible, sous réserve de le pouvoir réglementairement (voir l'article 416-2 du règlement général de l'AMF pour les critères d'éligibilité), d'investir dans un FCIMT (fonds commun d'investissement dans les marchés à terme, cliquez ici pour accéder aux FCIMT référencés dans Quantalys) exposé à l'évolution du cours de matières premières.

Attention, une très forte volatilité est probable, n'investissez qu'en connaissance de cause et après un examen très attentif de l'indice sous-jacent.

*Henry McVey : Commodities: Friend or Foe ? Morgan Stanley Investment Management - Investmentfocus - February 2010

Philippe Maupas , CFA, CAIA, CIPM, est co-fondateur de Quantalys et éditorialiste.