2%, 4%, 10%... Quel est le régime d’inflation idéal pour les marchés ?

Publié le 21/11/2022 - Jean-François Bay
Au cours des 40 dernières années, depuis 1982, nous avons généralement été dans un environnement de baisse des taux avec une baisse de l’inflation. Mais depuis 2021, cette période de forte visibilité s’est arrêtée. Est-ce que l’observation des marchés sur la période 70’s et 80’s nous donne des clefs de lecture sur le nouveau régime futur des marchés ? C’est ce qu’ont essayé de faire sur les Taux les équipes de recherche de AlphaSimplex et sur les Actions Abby Joseph Cohen, professeur à la Columbia Business School et ancienne stratège chez Goldman Sachs

 

  1. Peut-on analyser des périodes similaires de fortes hausses des taux et de forte inflation ?

Au cours des 40 dernières années, depuis 1982, nous avons généralement été dans un environnement de baisse des taux avec une baisse de l’inflation. En termes simples, lorsque les taux baissent, les prix moyens des obligations montent et il vaut généralement mieux être acheteur d’obligations ou « long » en anglais. Mais depuis 2021, cette période de forte visibilité s’est arrêtée.

Il est donc intéressant de regarder encore plus loin en arrière pour inclure une période de temps où les deux composantes, inflation et taux, sont en hausse ou avec des cycles de hausse et de baisse. Comme on le voit sur le graphe n°1 qui retrace le rendement américain à 10 ans depuis 1970 par rapport à l'inflation US. Nous pouvons ainsi isoler trois grandes périodes sur ce graphique en fonction du pic et du creux pour les taux d'intérêt :

  • Une phase de hausse des taux de 1970 à 1982
  • Une phase de baisse des taux de 1982 à 2020
  • Une phase de hausse des taux depuis 2021



Les équipes de recherche de la société de gestion AlphaSimplex ont montré que le rendement mensuel moyen décomposé en position « long » ou « short » dans des environnements de hausse et de baisse des taux ainsi que la fréquence d'être « long » ou « short ». Nous pouvons voir clairement et logiquement que dans des périodes de baisse de l’inflation et des taux, les stratégies de suivi de tendances sont longues le plus souvent (71 % contre 29 %). Inversement, dans un environnement de hausse des taux et de l’inflation, les stratégies de suivi de tendance sont le plus souvent « short » (64% vs 36%).

 

  1. Des périodes de hausses des taux qui sont plus volatiles

Il est aussi intéressant de noter qu’au cours de ces périodes de hausse des taux et d’inflation, ce n'est pas seulement le niveau des taux d'intérêt qui compte mais aussi la pente de la courbe des taux par exemple ou le niveau absolu d’inflation durant la période.

En effet, en ce qui concerne la pente de la courbe des taux, les courbes inversées se produisent lorsque les taux d'intérêt à court terme sont plus élevés que les taux d'intérêt à plus long terme, ce qui est souvent considéré comme le signe d'une récession.

Les courbes plates suggèrent une prime de terme faible ou nulle pour la détention d'obligations à plus long terme, tandis qu'une courbe « normale » des taux implique une prime pour la détention d'une dette à plus long terme.

La forme de la courbe et la volatilité sur les taux varient dans les trois phases et donc selon les régimes. Nous constatons de plus forts mouvements de courbes abruptes dans un environnement de taux en hausse ou dans un environnement de courbes inversées comme constaté pendant l’année 2022.

 

  1. Tenir compte du niveau absolu de l’inflation

La grande période de baisse des taux pendant 40 ans s’est effectuée avec un niveau d’inflation aux Etats-Unis inférieur à 4% (hors quelques exceptions comme 2007-2008). Dans les régimes de hausse des taux dans les années 70 en revanche, le niveau d’inflation était au contraire systématiquement au-dessus de 4% et plus cyclique. Le régime de long terme de l’inflation, en dessous de 4% ou au-dessus n’est donc pas neutre.

Cela démontre que lorsque nous sommes dans un régime de hausse des taux dans une configuration de courbe des taux inversée comme c’est le cas aujourd’hui aux USA avec un niveau d’inflation supérieur à 4%, les signaux « longs » ou « shorts » sont plus difficiles à prévoir. Il est préférable de prendre des positions « short » sur la partie longue. Sauf si nous ne voyions des taux beaucoup plus élevés et une courbe des taux revenir à la « normale » pentifiée. Il est alors peut être préférable d’être « long » malgré un environnement de taux en hausse.

  1. Changement de régime

Connue pour ses analyses sur l’inflation dans les années 90, Abby Joseph Cohen, professeur à la Columbia Business School et ancien stratège chez Goldman Sachs, confirme de son côté ce changement de régime et de l’importance du niveau absolu d’inflation.

Rappelons qu’elle avait été l'une des premières à prévoir plusieurs années à l'avance la forte progression de Wall Street au cours de la seconde partie des années 1990. A l’époque, dans un exposé célèbre à l’école Wharton*, Abby Cohen, la « prophète de Wall Street » avait rappelé qu’au cours des années 1950 et 1960, l'économie américaine s'est exceptionnellement bien comportée, mais ses performances ont décliné au cours des années 1970 et 1980, période de forte inflation. Les dépenses de R&D ont chuté, les marges bénéficiaires ont été comprimées et le marché du travail était dans une situation inconfortable. De plus, le pays faisait face à un déficit budgétaire qui dépassait 6% du PIB. Il n'est pas étonnant que de nombreux experts économiques aient été baissiers quant aux perspectives du pays. "Mais la bonne nouvelle est que cette situation a été pleinement intégrée au marché boursier", a déclaré Cohen. "Le S&P 500 était sous-évalué au début des années 1990."

En 1991, Cohen a remarqué que quelque chose de nouveau semblait se produire : D’une part la baisse et la maîtrise de l'inflation. Alors que l'inflation était élevée dans les années 1970 et 80, elle avait fourni un écran de fumée derrière lequel les entreprises pouvaient cacher de faibles performances. Lorsque cet écran de fumée s'est dissipé, les entreprises n'avaient d'autre choix que de faire face à la réalité. Le résultat : les entreprises ont d’abord réduit leurs effectifs. "Les actionnaires ont vu les rendements augmenter à court terme, mais en tant que nation, nous avons eu une grande angoisse", a déclaré Cohen. "Des emplois étaient perdus et n'étaient pas remplacés. Si c'était tout ce qu'il y avait à restructurer, ce boom aurait pris fin."

La raison pour laquelle le boom de l’économie US a persisté était liée à la deuxième phase : L’investissement dans les nouvelles technologies aux US, en particulier en ordinateurs et en équipements de télécommunications, augmentaient de 25 % par an. La raison en était que plusieurs entreprises avaient reconnu leurs problèmes et décidé de s'en occuper. Sur une base nette, au niveau des États-Unis, le pays a créé 16 millions de nouveaux emplois au cours des cinq années suivantes." L'Europe, en revanche, a perdu 1 million d'emplois traditionnels sur cette période et n’a que tardivement commencé la deuxième phase d’investissement.

Aujourd’hui le marché sort de la période de 40 ans au cours de laquelle l'inflation et les taux d'intérêt étaient sous contrôle et les titres à revenu fixe étaient un bon endroit pour investir, a-t-elle récemment déclaré sur Bloomberg.

À mesure que les taux d'intérêt augmentaient, les entreprises et les gestionnaires de fonds ont plus de mal à utiliser l'effet de levier pour augmenter les rendements, ce qui signifie que leur capacité sous-jacente à bien performer devient plus critique, a déclaré le professeur Cohen. "Lorsque l'argent n'est plus gratuit et que l’inflation est élevée, vous avez une meilleure idée de savoir si les dirigeants d'entreprise et les gestionnaires de portefeuilles font réellement du bon travail".

Et en ce qui concerne la façon dont les investisseurs envisagent le contexte économique : "ce qui semble être pris en compte en ce moment est une légère récession, certainement pas une grave récession", a-t-elle déclaré. "Au cours des dernières années, les fondamentaux ont moins compté que des choses comme l'enthousiasme des investisseurs ou les flux", a-t-elle déclaré.

"Nous sommes maintenant de retour dans une période où cela compte, où ce sont les fondamentaux des bénéfices, les fondamentaux des marges, les fondamentaux de l'inflation et des taux d'intérêt - et de mettre tout cela ensemble en termes de modèles d'évaluation, cela fera une grande différence pour les investisseurs à l'avenir.

"Nous voyons maintenant un mouvement vers la gestion active ou l'alpha. Cette recherche de diversification n'est pas seulement sur le marché américain, cela se produira également dans d'autres marchés développés. Pensez-y plus largement en termes de catégories d'actifs qui ne vont plus toutes aller de pair. »

  1. Un changement de paradigme tous les 40 ou 50 ans

L'économie américaine traverse aujourd’hui un changement majeur, un changement de rythme après 40 ans de maîtrise de l’inflation. Cohen a déclaré à ce sujet « Les historiens de l'économie ont montré que de tels changements se produisent une ou deux fois par siècle. Lorsque l'économie américaine a commencé au début du siècle dernier à passer d'une économie agricole à une économie industrielle, un changement important s'est également produit dans la politique publique grâce à l'éducation publique. En conséquence, "nous avons créé le plus grand groupe de personnes alphabétisées de la planète", a déclaré Cohen.

Un changement similaire s'est produit après la Seconde Guerre mondiale lorsque les États-Unis sont passés d'une nation industrielle à une nation de haute technologie encore une fois grâce aux politiques publiques et à l’accent mis sur la Recherche : "Nous avons créé le plus grand groupe de diplômés universitaires sur la planète", a souligné Cohen.

Aujourd'hui, une fois de plus, l'économie mondiale est au seuil d'un changement économique et technologique massif, celui du changement climatique et une fois encore l’éducation et la recherche seront au cœur de la solution selon elle.
 

  1. Une inflation en dessous- de 5% apparait comme idéale pour les marchés

Abby Joseph Cohen n’est pas la seule à faire la distinction entre un régime d’inflation en dessous de 4% ou 5% et un régime d’inflation supérieur à 5%. Récemment, le CFA a publié un article intitulé « Myth-Busting: Equities Are an Inflation Hedge ».

Dans cet article, Nicolas Rabener, CFA, considère qu’analyser les rendements sans corriger l'inflation est une erreur simple mais fréquente. Un compte d'épargne avec un taux d'intérêt de 2% est assez attractif lorsque l'inflation est de 0%, mais moins lorsqu'il est de 3% et implique un taux d'intérêt réel négatif.

En comparant les rendements nominaux et réels des actions dans quatre grands régimes d'inflation cette fois-ci, on obtient une perspective très différente. En termes réels, une inflation supérieure à 5 % a fortement réduit les rendements nets, tandis qu'une inflation supérieure à 10 % a rendu les actions peu attrayantes. Le rendement réel reste positif et les actions se sont donc couvertes contre l'inflation. Néanmoins, les actions sont des instruments volatils et le rendement moyen masque les baisses spectaculaires qui se sont produites au cours des 70 années en question.

Un régime d’inflation élevé supérieur à 5% voire à 10% n’est donc pas une bonne nouvelle pour les investisseurs.

Le mot de la fin sur la forte inflation est à Janet Yellen, ancienne Présidente de la FED entre 2014 et 2018, et secrétaire au Trésor sous la présidence de Joe Biden : "J'ai atteint l'âge adulte et j'ai étudié l'économie dans les années 1970 et je me souviens à quoi ressemblait cette terrible période… Personne ne veut voir cela se reproduire. »

  1. Quelle inflation doit-on anticiper ?

Comme l’indique CFM dans son étude sur l’inflation « Inflationary Regimes and Asset Class Performance » deux scénarios s’affrontent en ce moment sur les marchés :

1. Un retour à une inflation séculaire plus élevée (à la Larry Summers)

2. Une inflation plus élevée, mais « transitoire » avant un retour vers les 2% (c’est le scénario de base de la Fed). Leur raisonnement est que l’inflation élevée est largement expliquée par «les effets de base» et que la pression à la hausse sur les prix s'estompera à mesure que les chaînes d'approvisionnement s'ajusteront à la demande croissante

Si l'inflation reste persistante et élevée (au-dessus de 5% ou 10%) et donc moins transitoire que ne le prétend la Fed, cela, comme on le comprend généralement, conduira les acteurs du marché à éviter les titres à revenu fixe comme les Obligations où les revenus sont érodés sans ambiguïté par l'inflation. Et, comme évoqué dans l’article du CFA, compte tenu du faible rendement net également attendu sur les Actions, la corrélation Obligations-Actions restera en territoire positif comme dans les années 70 et comme en 2022 malheureusement.

Dans ces conditions, les classes d’actifs qui performent le plus en période de forte inflation et diversifient le mieux une allocation sont :

  • Les stratégies de Trend Following CTA
  • Les obligations indexées inflation
  • Les gérants Global Macro
  • Les matières premières
  • L’immobilier



Si l'inflation élevée est transitoire et que les banques centrales réussissent à ramener l’inflation en dessous des 5%, les classes d’actifs traditionnelles cœur Actions et Obligations reprennent tout leur sens, notamment après la dislocation des marchés en 2022 et après une telle revalorisation de toutes les classes d’actifs.

 

  1. Colloque Harvest Fidroit Quantalys

Nous ferons un point complet sur ces sujets lors du Colloque Harvest-Fidroit-Quantalys le 1er décembre prochain à partir de 15h00 au Palais Brongniart. La table ronde « Le retour de l’inflation : cette fois c’est différent ? » fera intervenir Henri Chabadel, CIO de BlackRock

N’hésitez pas à vous inscrire :

https://www.colloqueharvestfidroitquantalys.fr/

 

(*) 26th annual Whitney M. Young Jr. Memorial Conference at the Wharton School

 

Pour aller plus loin :

https://www.alphasimplex.com/insights/

https://news.columbia.edu/news/columbians-offer-their-insights-inflation-recession-and-economy

https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-06-22/abby-joseph-cohen-says-era-of-everything-going-up-is-over

https://blogs.cfainstitute.org/investor/2021/07/19/myth-busting-equities-are-an-inflation-hedge/

https://www.cfm.fr/insights/inflationary-regimes-and-asset-class-performance/

Jean-François Bay , Directeur Général, Développement international.