Les cycles financiers et le poids grandissant de l’immobilier dans nos économies

Publié le 09/10/2023 - Jean-François Bay
Dans sa note économique Tréso-Eco n° 317 publiée le 29 novembre 2022, Bercy revient sur les cycles financiers qui ont rythmé notre économie et les facteurs explicatifs de ces accélérations et retournements. L’objectif était également d’établir un indicateur du cycle financier pour la France alors que la crise financière de 2008-2009 a souligné l’importance de préserver la stabilité financière et mis en lumière la nécessité de nouveaux indicateurs permettant de mieux comprendre l’évolution des risques financiers. A partir de 2002, on note que le prix de l'immobilier et le crédit à l'habitat représentent deux variables qui pèsent plus dans les facteurs explicatifs du cycle financier . Pour la première fois, on note une contribution plus importante du marché de l’immobilier et du crédit à l'habitat que du marché actions à la fois dans la phase haussière du cycle que dans la phase baissière.

 

  1. Définition du cycle financier

Même si une définition universellement acceptée du « cycle financier » n'existe pas, ce terme est généralement utilisé pour définir les co-mouvements cycliques de variables qui mesurent les conditions financières générales. Selon Kindleberger (2006)2, ces co-mouvements au long d'un cycle se décomposent en 5 phases :

  1. Essor : Après une récession, le rebond économique favorise l'octroi de crédit. Les prix de certains actifs augmentent.
  2. Euphorie : L'augmentation des prix des actifs favorise encore plus l'octroi de crédit dans une dynamique autoréalisatrice.
  3. Paroxysme et retournement : Un choc, soit endogène soit exogène (hausse des taux d'intérêt, crises internationales, catastrophe naturelle, etc.), met fin à cette dynamique.
  4. Reflux et pessimisme : Les prix baissent brutalement, les conditions d'octroi du crédit se durcissent en raison de la perte de valeur des garanties.
  5. Déflation par la dette : La valeur réelle de la dette augmente. Les agents surendettés essaient de vendre leurs actifs au rabais ou peuvent faire faillite (le « moment Minsky »). Les ventes en catastrophe provoquent des paniques qui peuvent mener à l'illiquidité des marchés en raison de la méfiance entre agents économiques. La croissance s'arrête.

 

  1. La synchronisation des actifs financiers et immobiliers

La synchronisation du prix des actions ou du marché obligataire illustre ce phénomène de cycle. Ces relations diffèrent selon la fréquence du cycle analysé et les régions géographiques considérées. Aikman (2015), Drehmann (2012) et Borio (2012) trouvent également une forte corrélation entre les pics de leurs indicateurs respectifs de cycle et les crises bancaires systémiques.

Mais le rapport de Bercy vient pointer du doigt le rôle accélérateur de l’immobilier depuis les années 2000. En effet, parmi les caractéristiques communes à presque tous les indicateurs de cycle financier dans la littérature, une synchronisation élevée est observée entre le cycle de crédit et celui du prix de l'immobilier.

C’est la raison pour laquelle Bercy a retenu les indicateurs suivants pour bâtir son indicateur du cycle financier. Conformément à l'approche de Schuler (2015), les variables choisies pour construire l'indicateur du cycle court comprennent :

  • des indicateurs du niveau d'endettement des sociétés non-financières (SNF)
  • des indicateurs de l’endettement des ménages (crédit à l'habitat et crédit à la consommation),
  • du prix de l'immobilier,
  • du taux souverain à 10 ans
  • du cours des actions

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Les variables utilisées pour caractériser le cycle moyen sont l'endettement des SNF et des ménages et le prix de l'immobilier (Borio (2012) ; Merler (2015). Grâce à des tests post-estimation positifs et une certaine cohérence factuelle, il est possible de considérer ces estimations comme des indicateurs fiables du cycle financier.

 

  1. Le poids grandissant de l’immobilier dans les accélérations et dans les retournements

La crise des années 2000 est surtout liée aux retournements sur les Actions, caractérisée par la croissance et le retournement d'un cycle court lié à la « bulle internet » des années 2000-2002, comme l'indique l'indicateur de cycle court : au début des années 2000, l'euphorie pour les entreprises du secteur technologique et des télécommunications se traduit par une hausse importante du prix de leurs actions aux États-Unis. Ce phénomène se transmet en Europe, y compris en France. À partir de 2001, la tendance s'inverse : le CAC perd 21,9 % en 2001 et 33,75 % en 2002. En France, c'est le marché des actions qui fournit la contribution principale au cycle court tant en phase croissante en 2000 qu'en phase décroissante entre 2001 et 2002.

 

En réponse aux pressions désinflationnistes mondiales, la Fed et la BCE ont fortement baissé leurs taux directeurs après la crise de 2001. En conséquence, à partir de 2002, les prix de l'immobilier et le crédit à l'habitat en France ont accéléré, pour dépasser leur tendance de moyen terme en 2004 et poursuivre ensuite leur trajectoire ascendante. Entre 2005 et 2007, pour la première fois, on note une contribution plus importante du marché de l’immobilier r et du crédit à l'habitat que du marché actions à la fois dans la phase haussière du cycle, ainsi qu'à celle de la baisse en 2008-2009 après l'éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis (en lien avec les dynamiques du cycle financier global proposées par Miranda-Agrippino et Rey (2021).

De la même manière, en ce qui concerne la crise sanitaire, la baisse a impliqué toutes les variables considérées de manière comparable, mais le rebond commencé à partir du dernier trimestre 2020 a été surtout tiré par la hausse du prix de l'immobilier et du crédit à l'habitat.

 

Pour télécharger le rapport complet :

Trésor-Éco n° 317 (Novembre 2022), " Un indicateur du cycle financier en France depuis le début des années 2000 " (economie.gouv.fr)

Pour aller plus loin :

https://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2011/wp1176.pdf

Jean-François Bay , Directeur Général, Développement international.