Indices hors dividendes : enfin hors-la-loi

Publié le 17/12/2012 - Philippe Maupas
L'AMF impose l'utilisation d'indices de référence dividendes réinvestis aux OPCVM

L'Autorité des Marchés Financiers (AMF) est un organisme public indépendant ayant pour missions principales de veiller à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers, à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d'instruments financiers.

Elle vient d'actualiser sa doctrine OPCVM en mettant à jour les quatre guides qui la composent (voir ici le communiqué de presse).

Une des nouveautés essentielles est mentionnée à la fois dans le "Guide des documents réglementaires des OPCVM et OPCI" et dans le "Guide pour la rédaction des documents commerciaux et la commercialisation des OPC" et a trait aux indices de référence : l'AMF impose en effet dorénavant d'utiliser de manière systématique (lorsqu’il existe) un indice de référence dividendes réinvestis afin de comparer la performance d’un OPCVM à celle de son indicateur de référence.

Elle met ainsi fin à une des pratiques les plus contestables et les plus injustes pour les investisseurs : comparer la performance d'un OPCVM percevant par définition les dividendes des actions qu'il détient en portefeuille avec un indice de référence sans ces mêmes dividendes. Elle met fin également à une pratique encore plus détestable, qui est d'utiliser un indice hors dividendes comme base pour le calcul de la commission de surperformance de l'OPCVM.

De l'importance des dividendes dans la performance d'un investissement

Il existe en effet plusieurs versions d'un même indice actions : la version prix ("Price" en anglais) ne tient compte que du cours des actions qui le composent et la version dividendes réinvestis. Quand une action détache un dividende, toutes choses égales par ailleurs, son cours baisse du montant de ce dividende. L'indice "prix" ignore complètement ce dividende, qui pèse pourtant très lourd sur une longue durée de détention, quand on fait l'hypothèse que ce dividende est réinvesti en actions de la même société.

L'investisseur peut en effet utiliser ce dividende de différentes façons : le dépenser en totalité ou en partie, ou le réinvestir, en totalité ou en partie. S'il le réinvestit, ce peut être dans un autre titre, voire un autre produit (livret A par exemple), ou bien dans de nouvelles actions de la société qu'il détient.

L'indice dividendes réinvestis ("Total Return" en anglais) est calculé en réinvestissant les dividendes versés par une société en actions de cette même société. Sa performance est par construction supérieure à celle de la version Prix du même indice (sauf dans le cas improbable où aucune des valeurs composant l'indice ne distribuerait de dividendes).

L'article consacré au CAC40 sur Wikipedia permet de comparer les performances annuelles de trois versions de l'indice des grandes valeurs d'Euronext Paris : price, dividendes bruts réinvestis et dividendes nets réinvestis. Plus la durée d'observation est longue, et plus l'écart se creuse entre l'indice Prix et l'indice Dividendes Réinvestis. Le graphique ci-dessous, créé avec le comparateur Quantalys, compare le CAC 40 Prix (en bleu) au CAC 40 dividendes bruts réinvestis (en rouge) entre le 11 septembre 2004 et le 19 décembre 2012 : le score est sans appel, -0.93% sans les dividendes, +32.53% avec.

Se comparer à un indice hors dividendes, c'est tricher

La plupart des OPCVM mentionnent aujourd'hui dans leur prospectus un indice de référence servant de base de comparaison pour les investisseurs. Cet indice doit être représentatif de la stratégie d'investissement du fonds et de son univers d'investissement : un fonds investissant en petites valeurs de la zone euro utilisera un indice de référence composé de petites valeurs de la zone euro, un fonds investissant dans des obligations de pays émergents utilisera un indice composé d'obligations des pays émergents.

On pourrait s'attendre à ce qu'un fonds actions utilise un indice dividendes réinvestis : hélas, dans la mesure où ce n'était jusque là pas une obligation, de nombreuses sociétés de gestion ont pris l'habitude d'utiliser une version Prix pour leurs fonds de droit français. Résultat : la performance relative du fonds apparaît ainsi meilleure qu'elle ne l'est en réalité (pour le CAC 40, l'écart annuel le plus élevé entre la version Prix et la version dividendes bruts réinvestis est de presque 5% en 1988!).

L'investisseur non professionnel est ainsi trompé : dans le pire des cas, il peut avoir l'impression que le gérant bat l'indice de référence alors qu'il peut faire nettement moins quand on tient compte des dividendes.

Quand on interroge les sociétés de gestion sur les raisons pour lesquelles elles ont si longtemps utilisé un indice actions hors dividendes, on obtient des réponses rarement convaincantes, dont voici un florilège (citations malheureusement exactes) :

- "Où est le problème?"

- "Nous avons toujours fait cela."

- "D'autres que nous font la même chose."

Le cas de la commission de surperformance

L'utilisation d'un indice hors dividendes à des fins d'information des investisseurs est inadmissible mais n'a pas de conséquences financières directes pour le porteur de parts du FCP ou l'actionnaire de la SICAV (si ce n'est que celui-ci aurait pu décider de vendre le fonds s'il avait eu conscience de sa performance relative réelle) ; en revanche l'utilisation d'un indice hors dividendes pour le calcul de la commission de surperformance revient à prélever une rémunération totalement injustifiée.

Une commission de surperformance (appelée "frais de gestion variables" dans les prospectus des fonds de droit français) s'ajoute aux frais de gestion fixes prélevés par la société de gestion. Elle se compose de deux éléments : l'indice de référence ou un seuil fixé de manière absolue d'une part, le pourcentage de la performance excédentaire du fonds par rapport à cet indice ou à ce seuil qui revient à la société de gestion d'autre part.

Un fonds investissant dans des grandes valeurs de la zone euro pourra ainsi prévoir que la société de gestion recevra une commission supplémentaire de 20% de la surperformance du fonds sur un exercice annuel par rapport à l'indice Euro STOXX 50, représentatif des grandes valeurs de la zone euro.

Si la performance du fonds atteint +12% sur l'année, alors que celle de l'indice est de +10% (surperformance de 2%), 20% de cette surperformance (soit 0.4%) reviendra à la société de gestion. Cette surperformance est provisionnée lors du calcul de chaque valeur liquidative et payée effectivement à la société de gestion à des intervalles précisés dans le prospectus (dans son guide relatif aux frais, l'AMF parle d'une fréquence "raisonnable" et précise qu'"il convient de noter qu’une période d’un an est considérée comme raisonnable").

Il semble évident que seul un indice dividendes réinvestis peut être utilisé comme base pour le calcul d'une commission de surperformance. Hélas, quelques sociétés de gestion ont, pendant des années, utilisé un indice hors dividendes : ce mécanisme conduit à prélever une commission supplémentaire totalement ou partiellement injustifiée. Totalement si la performance du fonds était inférieure à celle de l'indice dividendes réinvestis et supérieure à celle de l'indice hors dividendes, ou partiellement dans le cas où elle était supérieure à celle des deux versions de l'indice, dans la mesure où l'écart "réel" (et donc l'assiette de la commission supplémentaire), était inférieur à l'écart utilisé.

On notera que l'indice utilisé pour le calcul de la commission de surperformance peut être un indice composite, à savoir composé de plusieurs indices, pouvant correspondre à des classes d'actifs différentes. Un fonds équilibré pourra par exemple utiliser un indice composé à 50% d'un indice actions et à 50% d'un indice obligations.

L'obligation faite aux sociétés de gestion d'utiliser, quand elle existe, la version dividendes réinvestis d'un indice actions, va heureusement mettre fin à cette situation dans laquelle l'investisseur ne bénéficie pas d'un traitement équitable.

Il convient de saluer cette initiative du régulateur français. Le secteur de la finance en général souffre toujours d'une image détestable et il nous semble important de rappeler que la finance est au service de la société et que les gérants d'actifs doivent agir de façon éthique vis-à-vis des investisseurs. Dommage qu'il faille l'intervention du régulateur pour mettre fin à des habitudes ne respectant pas les intérêts des clients.

Philippe Maupas , CFA, CAIA, CIPM, est co-fondateur de Quantalys et éditorialiste.