Introduction à la gestion alternative

Publié le 27/02/2007 - Philippe Maupas
Délivrer des performances toujours positives avec un risque faible quelle que soit l’évolution des principaux marchés financiers, telle est l’ambition de la gestion alternative.

Le premier fonds de gestion alternative (hedge fund en anglais, soit fonds de couverture) a été créé par Alfred Winslow Jones aux Etats-Unis en 1949, utilisant deux techniques alors pas employées en combinaison, la vente à découvert et l'effet de levier sur le marché des actions nord-américaines. Jones chercha à séparer le risque de la sélection de valeurs individuelles du risque de baisse du marché. Pour couvrir son portefeuille d'actions contre une chute du marché, il vendit à découvert les titres qu'il estimait surévalués : le fonds était ainsi couvert –hedged en anglais) car le portefeuille était divisé entre des titres qui s'apprécieraient avec le marché et d'autres qui s'apprécieraient en cas de baisse des marchés.

Jones introduisit deux innovations qui sont aujourd'hui la marque de fabrique des fonds de gestion alternative : il demanda un partage des profits (20% lui revenant) et investit son propre argent dans le fonds, alignant ainsi les intérêts du gérant et ceux des investisseurs externes.

La traduction de hedge fund en français reflète le manque de compréhension de ce type de produits : fonds spéculatifs pour ceux qui les décrient, fonds de gestion alternative pour l'industrie de la gestion (terme sans connotation négative mais très vague), nous emploierons le terme de gestion alternative, faute de mieux, et essaierons de mieux qualifier ces fonds «différents».

Une définition générique consiste à dire que la gestion alternative vise à délivrer des performances positives quelle que soit l'évolution des marchés financiers (à savoir que ceux-ci montent ou baissent) avec un faible niveau de risque.

Commençons par un rappel historique pour montrer que les soubresauts macro-économiques entraînent généralement la débâcle d'un hedge fund et contribuent à la réputation souvent sulfureuse de ce type de produits d'investissement.

L'histoire de LTCM

Le grand public prit la mesure de la puissance des fonds de gestion alternatif et des risques qu'ils pouvaient représenter en août 1998, quand la Russie fit défaut sur sa dette, entraînant d'importantes perturbations sur les marchés financiers, qui mirent à genoux le hedge fund LTCM. Ce fonds, créé en 1993 par John Meriwether, un ex trader obligataire vedette de Salomon Brothers, connut des problèmes d'une ampleur telle qu'il menaça la stabilité du système financier international.

LTCM avait levé la somme record de 1.25 milliard de $ auprès d'investisseurs prestigieux, employait les plus brillants traders et chercheurs (dont deux futurs Prix Nobel d'Economie, Myron Scholes et Robert Merton) et utilisait sans modération l'effet de levier, un des outils préférés de la gestion alternative.

L'effet de levier consiste à emprunter du capital auprès de banques pour augmenter le retour sur capitaux investis du fonds, dès lors que (et si et seulement si) la performance de l'investissement est supérieure au coût de l'emprunt. Si c'est le cas, plus l'effet de levier (la part des capitaux empruntés dans le total des capitaux investis) est élevé, plus le profit est important. A contrario, si le fonds perd de l'argent sur ses investissements (ou en gagne moins que nécessaire pour couvrir le coût du capital emprunté), il ne peut plus rembourser ses créditeurs : c'est ce qui se passa en août 1998.

L'effet de levier de LTCM était de 25, un niveau considérable, qu'explique l'avidité des banques à prêter (elles étaient souvent également investisseurs en capital et escomptaient des retombées importantes en termes de volume de courtage avec le fonds) à des taux d'intérêt très bas. Quand les pertes de LTCM commencèrent à s'accumuler, la banque fédérale de réserve de New York convainquit 14 banques créditrices de réinjecter chacune 300 millions de $ dans le fonds (soit le total phénoménal de 3.65 milliards de $) : LTCM restructura son portefeuille avec succès, remboursa ses dettes en 1999 et fut liquidé en 2000.

Tant que les hedge funds (nom anglais des fonds de gestion alternative) restaient réservés à des institutions financières ou des particuliers très fortunés, le grand public n'était pas affecté par les accidents de parcours. Mais depuis quelques années les régulateurs nationaux ont facilité la commercialisation de produits de gestion alternative auprès d'une plus large typologie d'investisseurs, d'où l'intérêt de bien comprendre les différentes stratégies et les risques des fonds disponibles sur le marché.

Nous n'abordons ici que les fonds de gestion alternative disposant d'un agrément de l'AMF et pouvant être commercialisés auprès de certaines catégories d'investisseurs. Tous ces fonds sont accessibles sur le site de Quantalys.

Les fonds de gestion alternative sont constitués de manière similaire à celle des fonds traditionnels : ce sont soit des SICAV, soit des FCP (voir notre article sur les fonds ici). Ils appartiennent à la catégorie AMF OPCVM de fonds alternatifs pour tous les fonds de fonds de gestion alternative, et à la catégorie AMF Diversifiés pour les fonds mono-stratégie n'étant pas des fonds de fonds. Nous avons créé des catégories Quantalys pour vous aider à les identifier rapidement, qui vous sont présentés dans l'article sur les stratégies de gestion alternative.

Des techniques de gestion inaccessibles aux fonds traditionnels

La gestion alternative utilise deux grandes techniques de gestion : l'effet de levier et la vente à découvert.

Comme nous l'avons vu dans le rappel sur l'affaire LTCM, l'effet de levier consiste pour le fonds à emprunter des capitaux auprès de banques pour démultiplier l'exposition de son portefeuille : un effet de levier de 3 indique pour 1 euro confié par les porteurs de parts le fonds emprunte 3 euros, ce qui lui permet d'investir 4 euros au lieu d'un. Si les investissements rapportent plus que ce que coûtent les capitaux empruntés, l'opération est gagnante pour le fonds. Si elle rapporte moins, l'opération est perdante, et si le différentiel entre la performance de l'investissement et le coût du capital est important et l'effet de levier élevé, le fonds peut se retrouver en grande difficulté : le contrôle des risques est donc une notion essentielle en matière de gestion alternative.

L'AMF a créé récemment de nouvelles catégories d'OPCVM, pour permettre aux fonds de gestion alternative de se développer dans un cadre réglementé : les fonds ARIA, ARIA EL et les ARIA fonds de fonds alternatifs). ARIA signifie à règles d'investissement allégées, et EL effet de levier. Les fonds ARIA EL sont autorisés à utiliser un effet de levier dans la limite de 4. Si l'on se rappelle du levier de LTCM, environ 30, on voit la prudence du régulateur en France. Les ARIA simples et ARIA fonds de fonds alternatifs ont quant à eux un effet de levier plafonné à 2. L'effet de levier maximum que s'autorise le fonds est mentionné dans son prospectus, dans la partie Profil de Risque. Il vous est également fourni dans les fiches fonds Quantalys, dans l'onglet Synthèse et dans l'onglet Administratif.

La vente à découvert consiste à vendre une valeur que l'on ne détient pas en portefeuille, en espérant que son cours va baisser : le vendeur à découvert achète la valeur avant la date de livraison à un cours inférieur à celui auquel il a vendu, la différence de cours constituant le profit de la transaction. Le gérant actions traditionnel est toujours long (long only), ce qui veut dire qu'il détient les titres en portefeuille et les vend quand il a atteint son objectif de cours. Si le gérant traditionnel pense que l'action X qui cote 100 euros n'en vaut que 80, il ne va pas l'acheter. Le vendeur à découvert va la vendre 100 euros sans la détenir et l'acheter plus tard pour 85 sur le marché, si ses anticipations se sont avérées exactes, avant de devoir la livrer au vendeur. Il aura ainsi réalisé un profit de 15 (100 – 85) moins les frais éventuels de prorogation de sa position vendeuse. Si toutes les stratégies de gestion alternative sont susceptibles de vendre à découvert, il existe des fonds dont c'est la spécialité : les fonds actions acheteurs/vendeurs (long/short) décrits plus précisément dans notre article sur les différents styles de gestion alternative.

Des fonds encore réservés à certains investisseurs

L'AMF a mis à jour son règlement en 2004 pour permettre le développement des fonds ARIA, là où auparavant les seuls produits de gestion alternative de droit français étaient les fonds allégés (inaccessibles à la plupart des investisseurs privés) et les FCIMT (fonds communs d'investissement sur les marchés à terme, interdits de démarchage auprès des investisseurs). Si ce nouveau cadre juridique permet la commercialisation des fonds de gestion alternative auprès d'une palette plus large de clients, tous les investisseurs ne peuvent avoir accès à tous les fonds de gestion alternative, notamment aux fonds ARIA.

En effet, certains fonds ne sont accessibles qu'aux investisseurs qualifiés. Sont considérées comme investisseurs qualifiés les personnes physiques remplissant au moins deux des trois critères suivants : la détention d'un portefeuille d'instruments financiers d'une valeur supérieure à 500 000 euros ; la réalisation d'opérations d'un montant supérieur à 600 euros par opération sur des instruments financiers, à raison d'au moins dix par trimestre en moyenne sur les quatre trimestres précédents ; l'occupation pendant au moins un an, dans le secteur financier, d'une position professionnelle exigeant une connaissance des investissements en instruments financiers. Si vous remplissez au moins deux de ces trois critères, vous pouvez vous inscrire dans le fichier des investisseurs qualifiés tenus par l'AMF : cette dernière vous enverra une attestation que vous pourrez produire à votre intermédiaire pour prouver votre qualité et avoir accès aux fonds réservés aux investisseurs qualifiés.

Si vous n'êtes pas investisseur qualifié, l'AMF a fixé des minima de souscription différents selon la nature du fonds : 10000 euros pour les OPCVM ARIA de fonds alternatifs ; 125000 euros pour les ARIA simples et ARIA EL ou 10000 euros pour les personnes physiques déclarant avoir exercé pendant au moins un an, dans le secteur financier, une position professionnelle leur ayant permis d'acquérir une connaissance de la stratégie mises en œuvre par l'OPCVM, ou possédant un patrimoine financier supérieur à 1 million d'euros.

Les restrictions éventuelles aux investisseurs qualifiés sont mentionnées dans la partie A statutaire du prospectus des fonds, au paragraphe Souscripteurs concernés et profil de l'investisseur type. Vous trouverez également les souscripteurs concernés dans l'onglet Administratif des fiches fonds Quantalys.

Des frais élevés

Les fonds de gestion alternative ont des frais de souscription dont la valeur maximum peut être très élevée (jusqu'à 10%), facturent souvent des frais de rachat (pouvant également aller jusqu'à 10%), et facturent des frais de gestion. Attention, dans le cas des fonds de fonds de gestion alternative, les frais de gestion mentionnés dans le prospectus et dans les fiches fonds Quantalys sont ceux du seul fonds dans lequel vous investissez. Comme ce dernier investit lui-même dans des fonds et que ceux-ci facturent également des frais de gestion (et généralement une commission de surperformance), le total des frais de gestion effectivement payés par l'investisseur peut être beaucoup plus élevé : en effet, la part de frais supplémentaire représentée par l'investissement en fonds tiers peut être le double des frais de gestion du fonds, ce qui revient à tripler le montant effectif des frais de gestion supportés par les porteurs de parts : il n'est pas rare de voir des frais totaux facturés à l'OPCVM supérieurs à 7%.

Les fonds de gestion alternative pratiquent systématiquement la commission de surperformance. De quoi s'agit-il ? Tout simplement d'une rémunération complémentaire versée par le fonds (donc par tous les porteurs de parts) à la société de gestion en cas de dépassement d'un objectif décrit dans le prospectus : soit celle de l'indice de référence du fonds, soit un pourcentage absolu (par exemple plus au-delà de 5% de performance annuelle).

Le pourcentage de la surperformance reversée à la société de gestion varie de 10 à 20%. Si le fonds A a enregistré une performance annuelle de 15%, contre 10% pour son indice de référence, la surperformance est de 5% (15%-10%). Si le prospectus stipule que la société de gestion a droit à 20% de la surperformance annuelle, elle récupèrera donc 1% (20% de 5%) de commission supplémentaire sur l'encours total du fonds (les formules de calcul varient, mais une provision est généralement déduite de chaque valeur liquidative avec un ajustement en fin d'année).

Attention, si la surperformance du fonds par rapport à son indice de référence est positive et que la performance absolue du fonds est négative (-10% pour le fonds contre -15% pour son indice de référence), il arrive fréquemment que la commission de surperformance soit due : vous accordez une rémunération supplémentaire au gérant pour vous avoir fait moins perdre d'argent que l'indice de référence. Si l'idée vous déplaît, évitez les fonds de ce type et favorisez les fonds de gestion alternative qui ne perçoivent de commission de surperformance que si la performance du fonds lui-même est positive. La pratique la meilleure pour le porteur de parts est d'avoir un seuil de performance positive et d'utiliser le système de plus haute valeur historique ("high watermark") qui garantit que les commissions de surperformance ne sont prélevées que si toutes les pertes éventuelles accumulées ont été rattrapées.

Quantalys encourage la pratique de commissions de surperformance, et pas seulement pour les fonds de gestion alternative, car elle aligne les intérêts des porteurs de parts et ceux de la société de gestion. Dans le cas des fonds de gestion alternative, le système de plus haute valeur historique a nos faveurs. A défaut, il est indispensable que la commission de surperformance ne soit due que dans le cas d'une performance du fonds positive, voire supérieure au taux sans risque (taux monétaire). Nous vous invitons à lire très attentivement le paragraphe Frais de la partie statutaire des prospectus des fonds de gestion alternative, ainsi que les frais réels facturés lors du dernier exercice clôturé mentionnés dans la partie B statistique des fonds de droit français avant tout investissement.

Fréquence des valeurs liquidatives et préavis de sortie

Pour les fonds traditionnels (les OPCVM agréés à vocation générale pour utiliser la terminologie de l'AMF), la fréquence minimale de calcul de la valeur liquidative est bi-mensuelle, et dès que l'encours du fonds dépasse 150 millions d'euros, la fréquence doit être quotidienne. Pour ces fonds, il est impossible d'imposer un préavis pour la souscription ou le rachat : en d'autres termes, votre ordre d'achat ou de vente doit impérativement être exécuté dès qu'il est transmis, sur la valeur liquidative suivante.

Rien de tel pour les fonds ARIA : certains fonds de gestion alternative sont caractérisés par l'illiquidité de certaines de leurs positions. En d'autres termes, ils ne peuvent pas vendre instantanément une position car ils ne trouveront pas une contrepartie. C'est pour cela qu'ils imposent souvent un préavis, tant pour la souscription que pour le rachat. Dans le cas de fonds offshore (domiciliés hors de France et non régulés par l'AMF), ces préavis peuvent atteindre plusieurs semaines, voire plusieurs mois. L'AMF a imposé des préavis plus réduits : pour les fonds à valeur liquidative quotidienne, le maximum est de 10 jours calendaires ; pour les fonds à valeur liquidative hebdomadaire, bi-mensuelle ou mensuelle, le maximum est de 35 jours calendaires.

Les informations sur les préavis pour les souscriptions et les rachats sont mentionnées dans la partie A statutaire du prospectus des fonds, au paragraphe Informations d'ordre commercial.

Philippe Maupas , CFA, CAIA, CIPM, est co-fondateur de Quantalys et éditorialiste.