Les SCPI internationales à la conquête du monde. Partie I.

Publié le 04/05/2020 - Morgane Berthelot
Depuis 2017, la croissance de la valeur vénale des SCPI investie en Europe a continué à croître 2 à 3 fois plus vite que sa part investie en France.

Selon les chiffres publiés par l’Institut de l’Epargne Immobilière et Foncière (IEIF) pour 2018, 31% des investissements des SCPI, sociétés civiles de placement immobilier, ont été réalisés en zone euro. Cette tendance s’est poursuivie au T2 2019. Les investisseurs semblent apprécier cette nouvelle réalité, car selon nos calculs la croissance moyenne de la capitalisation des SCPI internationales est 2,2 fois plus importante que celle des SCPI purement françaises en 2018. Les raisons et l’évolution de cette popularité méritent une étude approfondie.

Depuis l’année 2017, malgré un ralentissement passager de la collecte en 2018, la croissance de la valeur vénale des SCPI a continué à croître 2 à 3 fois plus vite en dehors de la France. Les sociétés de gestion des SCPI misent sur la diversification géographique pour contrer l’érosion des rendements. La reprise de la collecte depuis le début de cette année confirme encore une fois ce choix stratégique : 4,3 Md€ collectés ont besoin d’être placés. Le taux d’endettement des SCPI augmente, ainsi que l’encours des crédits immobiliers des ménages. Dans un contexte des taux négatifs, on constate une augmentation des liquidités. La volatilité accrue des actions, la mort annoncée des fonds en euros et la baisse globale des rendements obligataires, rendent l’immobilier et les SCPI extrêmement attractifs. Sans changement majeur d’ici la fin de l’année, on peut s’attendre à un record absolu de collecte, dont une partie considérable sera placée à étranger.
 

1. L’évolution de la valeur vénale des SCPI internationales depuis 2014

En 2014, il n’y avait que 9 SCPI ayant au moins un actif à l’étranger, avec 64% de valeur vénale en Allemagne, 23% en Belgique, 6% au Portugal, 4% en Espagne et 3% au Pays Bas. Au cours de ces 5 dernières années, le nombre des SCPI a explosé et atteint 39 produits, dont 3 ont été lancées depuis le début 2019. Le nombre de pays couverts a également évolué vers une diversification de plus en plus conséquente. Le graphique ci-dessous permet de visualiser l’évolution de la répartition géographique des SCPI ayant investi à l’étranger au cours de la période étudiée :


Répartition géographique de la valeur vénale des SCPI, 2014 - 2018

Entre 2014 et 2016, les Pays-Bas ont connu une augmentation de leur popularité, en rongeant significativement la part de la Belgique, du Portugal et de l’Allemagne. De 2015 à 2016, les investissements ont doublé dans ce pays tourné vers l’étranger, et caractérisé par une forte densité de population, des industries puissantes, un chômage bas et une fiscalité attirante. Pour autant, on ne pouvait pas parler d’un désinvestissement en Belgique, au Portugal ou en Allemagne. Il s’agissait plutôt d’un changement d’optique. Les Pays-Bas ont attiré davantage de nouveaux capitaux. 

Cet engouement est retombé au profit de l’Italie, grâce à son dynamisme et à son pôle santé, et de façon plus modeste au profit de l’Irlande, pourvue d’une fiscalité d’entreprise avantageuse qui a motivé une vague de délocalisations en Europe continentale.
Le Portugal, historiquement présent sur la carte des SCPI, a vu sa part diminuer de 6% à moins de 1%. La seule société investie au Portugal est Corum AM. En 2014, l’investissement a commencé avec Corum Origin (initialement, Corum Convictions). Corum XL l’a suivie dans ce choix stratégique en 2018. Ce pays, ayant réussi à redresser sa situation économique, n’a pas su attirer les SCPI.

L’Espagne est restée plutôt stable entre 4% et 6% de la valeur globale sur cette période en évoluant à la vitesse du marché.

Depuis 2017 la diversification a explosé. La part des fiefs historiques a diminué, surtout celle des Pays-Bas (-5%). Cette diversification est principalement dirigée par Corum AM qui jouit d’une collecte exceptionnelle lui permettant de peser de plus en plus lourd sur le marché des SCPI (526,5 millions d’euros, soit 10,13% de la collecte des SCPI d’entreprise en 2018, en croissance de 164% depuis 2017).

2. L’évolution de la part de la valeur vénale des sociétés de gestion immobilière

En 2014, on pouvait compter sur les doigts d’une main le nombre des sociétés de gestion investies en Europe : AEW Ciloger représentait près de 47% de la valeur vénale investie, Sofidy détenait 37%, Corum AM 17%, Paref Gestion 3% et Amundi Immobilier 1%. On remarque que la situation a bien changé au fil des années :

Globalement, le nombre de sociétés de gestion souhaitant tenter leur chance dans la zone euro n’a cessé d’augmenter. En décembre 2018, on en comptait 14, dont les plus importantes en valeur vénale sont Corum AM, Amundi Immobilier grâce à sa percée majeure entre 2014 et 2015, La Française Real Estate Managers, Sofidy, Primonial REIM, Paref Gestion et plus récemment Perial AM. 

On observe que la proportion de la valeur vénale des SCPI d’AEW Ciloger a diminué relativement aux autres. La proportion relative de la valeur vénale européenne revenant à Sofidy a également diminué. Dans les deux cas, il ne s’agissait pas de désinvestissement. Cette diminution relative est due à l’accroissement de la valeur vénale globale. 

Après une entrée sur scène impressionnante en 2015, La Française REM a su accroître sa part de façon considérable. Son poids en Europe a toutefois diminué l’année dernière, certainement pour des raisons de prudence, l’un des principes phares de cette société de gestion. Primonial REIM et Paref Gestion connaissent une progression lente mais stable. Le poids relatif de Corum AM n’a cessé d’augmenter.

Le nombre croissant d’acteurs sur le marché de l’immobilier européen rend la compétition acerbe parmi les sociétés de gestion. Cette compétition devient encore plus forte si on y ajoute le poids des foncières et des OPCVM/FIA investis en immobilier physique. La diversification géographique n’est pas une tâche simple. Plusieurs stratégies sont employées par les sociétés de gestion, telles que l’investissement indirect via des SCI pour faciliter la gestion, la création de filiales sur place pour améliorer l’accès aux informations, la diversification sectorielle ou au contraire la spécialisation.

3. Les spécialisations sectorielles des villes principales de la zone euro en 2018

Dans le cadre de notre étude, nous avons recueilli dans les rapports de l’année 2018 la répartition géographique en prix d’acquisition. Ces données nous ont permis de déterminer les 3 villes principales dans les 5 pays les plus investis de la zone euro et de dresser leur profil sectoriel. Dans un premier temps, nous avons ciblé les pays dont la somme des prix d’acquisition était la plus élevée. Dans un deuxième temps, selon la même approche, nous avons ciblé les 3 villes principales par pays à condition que la somme calculée de ces villes dépasse le seuil de 5% du total du pays. Les valeurs des villes ciblées en Italie et en Belgique restent approximatives car une partie des investissements a été effectuée via des SCI dont la composition n’est pas entièrement transparente.

Répartition sectorielle par ville, % prix d'acquisition

*Les données relatives à la densité de la population proviennent de Wikipedia

On observe que la première place parmi les secteurs est détenue par le secteur des « Bureaux » qui reste d’ailleurs le secteur le plus investi en 2019. Curieusement, en 2014 la première place appartenait aux « Commerces ». Le changement s’explique en grande partie par le début d’une diversification active de ses placements par Amundi Immobilier et par la Française REM. Une autre particularité réside dans le choix des villes. En 2014, seulement 79 villes figuraient sur la liste des placements des SCPI. Pour la plupart, il ne s’agissait pas des capitales ou des grands centres économiques. Il s’agissait souvent des villes situées à proximité de la frontière française. A partir de 2015, les sociétés de gestion ont commencé à viser de grandes agglomérations où sont localisés les sièges sociaux des grandes entreprises, les meilleures universités, les meilleurs hôpitaux et les plus somptueux centres commerciaux. Pour autant, ce choix stratégique n’a pas limité la diversification, car en 2018 on en compte plus de 550 en tout.

4. La diversification comme remède à la surchauffe des marchés

En présence des taux bas, l’argent ne coûte pas cher, par conséquent les prix des biens immobiliers ne cessent de croître. A ces conditions, il parait tout à fait raisonnable de signer un prêt pour l’investir en parts d’une SCPI, sachant que l’immobilier garde pour l'instant son image d’un placement refuge. Mais la progression des loyers reste modeste par comparaison à la progression des biens sous-jacents, et ce phénomène explique la baisse des rendements des SCPI. En effet, pour calculer le rendement, on divise les loyers annuels par le prix des immeubles. Dans cette situation, les sociétés de gestion se retrouvent face à une double difficulté : tenter de redresser les rendements et trouver un moyen d’investir les fonds collectés.

Selon un article publié le 10 octobre dans Le Revenu, fin juillet 2019 les notaires ont recensé 1 020 000 transactions réalisées en douze mois en France, soit une hausse de 7% sur un an. On enregistre une hausse annuelle de 5,1% des prix des appartements, de 2,7% des maisons au niveau national. Selon la même source, la banque UBS constate que les revenus et les loyers à Paris stagnent en termes réels, alors que les prix atteignent des niveaux records. Le risque de bulle le plus élevé serait à Munich, suivi par Hong Kong, Toronto, Amsterdam et Francfort.

Le marché de l’immobilier tend vers la saturation et la diversification géographique devient l’un des remèdes contre la surchauffe. Schématiquement, on observe deux grandes lignes stratégiques : rester en Europe pour dénicher des pépites ou partir à la conquête du monde. Certaines sociétés de gestion, comme Corum AM, commencent à viser l’immobilier outre-Atlantique, surtout au Canada. D’autres comptent privilégier les actifs situés dans des villes encore peu connues des SCPI, comme la ville de Luxembourg qui fait désormais partie du portefeuille de Placement Pierre, SCPI gérée par Foncia.

Conclusion

La part de la valeur vénale correspondant aux investissements en Europe a augmenté de 170% en 5 ans. Le nombre de sociétés de gestion est passé de 5 à 14, et le nombre de SCPI internationales de 9 à 39. L’année 2020 pourrait devenir une nouvelle année de tous les records, car pour l’instant la BCE ne compte pas remonter son taux directeur au moins jusqu’au premier semestre 2020. Quantitative easing (rachat d'obligations) pourrait être relancé. La BCE pourrait adopter un système dégressif pour son taux de dépôt, afin de compenser les effets négatifs de sa politique sur les banques.  En attendant, les dépôts bancaires de plus de 100 000€ commenceront à être taxés par certaines banques dès le début de l’année prochaine. 

Dans ces conditions, la collecte des SCPI continuera à prendre de l’ampleur en alimentant ainsi la diversification géographique. L’investissement en dehors de l’Europe permettra sous certaines conditions d’améliorer les rendements et de se protéger en cas d’une éventuelle remontée des taux européens, mais il faudra assumer le risque de change. Il faudra y ajouter une augmentation des charges administratives et des dépenses pour la recherche.  La diversification au sein de la zone euro permettrait de découvrir de nouvelles destinations et probablement de nouveaux secteurs, mais les dépenses liées à la recherche et le risque d’acquérir des biens surévalués resteront élevés.

Dans la partie 2 de cet article, nous étudierons plus en détail l’impact de la diversification géographique sur les rendements et l’évolution des prix de souscription des SCPI.

Les données utilisées dans le cadre de cette recherche proviennent principalement des rapports annuels et des bulletins trimestriels des SCPI étudiées. Nous remercions Sofidy et La Française REM pour les informations apportées concernant leur approche de la diversification géographique.

© 2019 Quantalys Les informations contenues dans ce document appartiennent à Quantalys qui ne garantit ni leur fiabilité, ni leur exhaustivité. Ces informations sont fournies à titre indicatif exclusivement par la société Quantalys. Elles ne constituent pas de la part de Quantalys une offre d'achat, de vente, de souscription ou de services financiers, ni une sollicitation d'une offre d'achat de quelque produit d'investissement que ce soit. Lisez le prospectus du fonds avant toute décision d'investissement. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.

Morgane Berthelot Analyste Data.