ABCD - Ai, Blockchain, Cloud, Data : Armes de disruption massive pour l’industrie financière ?

Publié le 24/04/2023 - Jean-François Bay
Selon le dernier rapport RISK 2023 publié par le Think Tank américain Eurasia, cette année 2023 devrait être un point de basculement pour le rôle des technologies dans nos sociétés et pour l’industrie financière. Une nouvelle forme d'iA, connue sous le nom d'IA générative, permet aux utilisateurs de créer des images, des vidéos et du texte réalistes uniquement à partir de quelques phrases de description. L’impact sur notre secteur bancaire et financier risque d’être massif selon cette société de recherche macro-économique. Explications
  1. ChatGPT et les risques géopolitiques d’abord

Les grands modèles de langage comme GPT-3 et le GPT-4 qui sortiront bientôt seront capables de passer de manière fiable le test de Turing, un rubicon pour la capacité des machines à imiter l’intelligence humaine.

Et les progrès des « deepfakes », de la reconnaissance faciale et des logiciels de synthèse vocale permettront de reléguer le contrôle de la ressemblance à l’âge de pierre. Des applications conviviales telles que ChatGPT et Stable Diffusion permettront à toute personne peu technophile d'exploiter la puissance de l'iA.

Ces avancées représentent un changement radical dans le potentiel de l'iA à manipuler les gens et à semer le chaos politique. Quand les barrières à l'entrée pour la création de contenu n'existent plus, le volume de contenu augmente de façon exponentielle, ce qui rend impossible pour la plupart des citoyens de distinguer de manière fiable la réalité de la fiction. La désinformation devrait prospérer et la confiance - la base déjà ténue de la cohésion sociale, des échanges commerciaux et de la démocratie – s'éroderont encore davantage.

Cela restera la devise de base des médias sociaux, qui, en raison de leur propriété privée, de l'absence de réglementation et d'un modèle commercial maximisant l'engagement, est le terreau idéal pour que les effets perturbateurs de l'iA deviennent viraux.

  1. L’amplification des effets moutonniers sur les marchés financiers

La prolifération de l'iA aura de profondes implications au-delà de la politique. Les entreprises de tous les secteurs vont faire face à de nouveaux risques comme la vente d'actions par les dirigeants ou l’engagement en faveur de l’ESG contredit par des fausses informations.

L'iA générative compliquera la tâche des entreprises et des investisseurs pour faire la distinction entre un véritable engagement et le sentiment d'une part, et les tentatives de sabotage par hackers, investisseurs activistes ou entreprises rivales d'autre part, avec des implications matérielles pour leurs résultats financiers.

Les citoyens, les militants, les trolls et quiconque entre les deux pourront causer des crises pour les entreprises en générant des volumes suffisamment importants de tweets de haute qualité, critiques de produits, commentaires en ligne et lettres aux cadres pour simuler des mouvements de masse en avis public. Les contenus générés par l'iA risquent de submerger le Trading à Haute Fréquence (THF) et les stratégies d'investissement basées sur le sentiment, les flux avec des effets de marché moutonniers et violents.

Sur la période récente, vous aurez remarqué la forte surperformance du secteur du Luxe au sein de l’indice CAC 40 (Hermès, LVHM et L’Oréal dépassent +30% YTD au 24 avril 2023 contre un indice à +17%). A l’inverse, on note sur la période la sous-performance des petites capitalisations françaises avec un indice CAC PME ou CAC Small proche de +0% YTD.

Le phénomène est sans doute encore plus flagrant aux USA. Le Nasdaq a bondi de +19% depuis le début de l’année alors que l’indice S&P 500 ne gagne que +8% et l’indice Russell 2000 des petites valeurs américaines progresse à peine.

Une telle dichotomie au sein des grands indices s’explique par la concentration de la hausse sur quelques valeurs. Le Luxe pour la France, la Tech pour les USA. Ainsi, la forte hausse des grandes valeurs technologiques Apple, Microsoft, Amazon, Nvidia et Alphabet génèrent à elles seules 73% de la performance de l’indice S&P 500 depuis le début de l’année alors que ces 5 valeurs ne représentent que 20% du poids de l’indice américain. Donc, sur ces 3 derniers mois, seuls 20% des constituants de l’indice S&P 500 l’ont surperformé contre environ 50% en moyenne. C’est le plus faible niveau depuis au moins 2005, ce qui traduit une certaine fragilité.

On note que les hausses ne reposent plus que sur un nombre réduit de très grandes capitalisations laissant penser que les flux acheteurs proviennent en bonne partie de logiques indicielles, quantitatives alimentées par les algorithmes, les robots, l’iA plutôt que par un optimisme généralisé d’un grand nombre d’investisseurs convaincus à long terme. Et des marchés fragilisés car exposés à un retournement violent et rapide si les robots venaient à détecter quelques mauvaises nouvelles.

Notons ici qu’en 2012 le supercalculateur américain mis au point par IBM, Séquoia, avait une puissance de calcul d’1 petaflop (1 million de milliards de calculs par seconde). Début 2023, les systèmes PaLM ou Minerva atteignent une puissance de 3 milliards de petaflop ! Avec la loi de Moore, nous étions habitués à doubler les capacités environ tous les 20 mois. Depuis 2010, les experts notent que cette croissance est exponentielle et s'est encore accélérée pour atteindre un doublement tous les 6 mois.

 

  1. Une nécessaire régulation en Europe sur l’iA, la Blockchain et la DeepTech

Le nouveau règlement européen (2022/858 du 30 mai 2022) vient juste d’entrer en vigueur le 23 mars 2023. Ce texte intervient sur un régime pilote pour les infrastructures de marché reposant sur la technologie Blockchain (ou registres distribués (DLT) permettant aux prestataires de service d’investissement (à savoir les établissements de crédit prestataires de services d’investissement – EC PSI, les établissements de crédit et d’investissement ECI et les entreprises d’investissement - EI), aux entreprises de marché et aux dépositaires centraux de titres d’exploiter le cas échéant un système multilatéral de négociation (MTF DLT), un système de règlement (SR DLT) ou un système de négociation et de règlement (SNR DLT) dont le fonctionnement repose sur la technologie Blockchain (DLT).

Ces textes ont pour objet de promouvoir ces technologies et approches mais aussi les pratiques prudentielles communes dans l'application de la Blockchain. Ils apportent aussi des réponses aux questions posées par les professionnels en ce qui concerne l'application pratique de CSDR, MiFID II, MiFIR dans le régime pilote DLT.

Olivier Portenseigne, CEO de FundsDLT, déclarait en mars 2023 dans le journal PaperJam : «L’écosystème qui soutient la distribution des fonds est, il faut le reconnaître, archaïque, relativement inefficient, constitué de nombreux intermédiaires et intégrant une grande diversité de fonctions. Les tâches et opérations effectuées par les différents acteurs sont souvent redondantes. L’ensemble se révèle, dès lors, coûteux… Avec les développements technologiques, le monde a changé à bien des égards. Aujourd’hui, chacun de nous s’attend à pouvoir profiter d’une expérience utilisateur qualitative, quel que soit le service proposé. Nous vivons à l’ère de l’instantanéité, nous souhaitons du “temps réel”. Enfin, et surtout, nous souhaitons en avoir pour notre argent… Les nouvelles technologies, la blockchain et d’autres solutions portées par les acteurs de la fintech, doivent contribuer à fluidifier les échanges, à accélérer le traitement des opérations tout au long de la chaîne de distribution et, in fine, à réduire les coûts. » « … la blockchain permet un gain d’efficacité opérationnelle et contribue à la réduction des coûts. Surtout, elle permet de gagner beaucoup de temps. Plusieurs opérations peuvent être réalisées de manière simultanée, et plus uniquement les unes à la suite des autres. Au-delà de cela, le modèle permet d’envisager de nouveaux services, et ce grâce à une meilleure compréhension des attentes des clients par l’ensemble des acteurs. Avec une approche traditionnelle, comme nous l’évoquions, le gestionnaire d’actifs ne dispose pas d’une connaissance approfondie du client final. [Les technologies et les bases de données] distribuées logées dans le cloud permettent à tous les acteurs d’accéder au même niveau d’information… L’asset manager, grâce à la tokénisation des actifs peut aussi envisager de nouveaux canaux de distribution. » « Un conseiller en investissement, proche de l’investisseur, aura toujours une raison d’être. Le temps qu’il ne passe pas sur des aspects administratifs, il peut le consacrer à l’écoute de ses clients. Si certaines fonctions administratives pourraient disparaître, de nouvelles opportunités vont aussi émerger dans l’objectif de mieux servir l’investisseur final. »

  1. Une thématique d’investissement à double titre

Dans son billet d’humeur de février 2023, le docteur Leber, fondateur d’ACATIS, société de gestion allemande indépendante, parle également de « changement d’époque » comme le rapport RISK 2023 d’Eurasia. Il parle « d’incroyables mutations technologiques dont l’ordinateur vocal Chat-GPT n’est qu’un aperçu ». Il poursuit « Imaginez que l’on associe les appels d’offres pour les chantiers à un bonus d’accélération, que les permis de construire soient délivrés en un dixième de secondes ou que les ordinateurs des autorités soient reliés entre eux : l’économie en serait boostée ».

Selon lui, ces évolutions, qui arrivent rapidement mais ne sont que lentement acceptées, auront un effet de raréfaction du capital. L’asset-light devient asset-heavy. Les taux d’intérêt augmenteraient. Cette transition se traduirait dans un premier temps par une baisse des cours et une hausse des rendements, mais elle serait bénéfique à long terme pour les marchés des capitaux. « Il nous incombe d’identifier les futurs gagnants dans ces secteurs et d’investir en conséquence. C’est là que se trouve l’économie post-moderne. »

Pour identifier les fonds qui investissent sur cette thématique, cliquez sur l’onglet « Big Data / Ai » dans le moteur de recherche avancée de Quantalys. Vous en trouverez une trentaine distribués en Europe comme par exemple :

Par ailleurs, pour de plus en plus de sociétés financières comme ACATIS, en plus d’être une thématique d’investissement, l’iA constitue un nouvel outil à la disposition des gérants et analystes pour les aider, tous marchés confondus, entre autres pour :

  • Analyser et valoriser les entreprises ;
  • Faire des prévisions relatives aux futures « actions gagnantes » ;
  • Optimiser des portefeuilles ;
  • Reconnaitre des passages de textes déterminants ;
  • Identifier des sociétés présentant des caractéristiques similaires (clustering)

Pour plus d’information sur le fonds ACATIS Ai Global Equities (noté 5 étoiles par Quantalys) :

https://www.quantalys.com/Fonds/545537?currency=EUR

On le voit, un sujet crucial que tous les financiers se doivent de suivre avec attention !

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Pour en savoir plus :

https://www.eurasiagroup.net/issues/top-risks-2023

https://ourworldindata.org/brief-history-of-ai

https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/actualites/regime-pilote-lacpr-la-banque-de-france-et-lamf-precisent-les-conditions-dinstruction-des-dossiers

https://www.esma.europa.eu/sites/default/files/library/esma70-460-189_qas_dlt_pilot_regulation.pdf

https://paperjam.lu/article/reduire-frictions-et-couts-lie

 

Jean-François Bay , Directeur Général, Développement international.