Marchés : fin de la "grande modération" ?

Publié le 16/04/2010 - Philippe Maupas
Philippe Brossard : des bouleversements en matière d'allocation d'actifs nous attendent

Lors du congrès annuel de Primonial Fundquest qui s'est tenu le 15 avril dernier à Paris, Philippe Brossard, président de Macrorama, une société indépendante d'études économiques et financières, est intervenu sur le thème de la fin de la grande modération.

1984-2007, période bénie

La "grande modération" correspond à la période allant de 1984 à 2007, caractérisée par des rendements réels (c'est-à-dire au-delà de l'inflation) très positifs, tant pour les actions que pour les obligations, l'immobilier commercial ou le monétaire.

Les rendements des actifs ont été à la fois très positifs et très réguliers, grâce à une atténuation des cycles économiques : la croissance s'est faite sans soubresauts marqués, l'inflation a considérablement baissé et son évolution est devenue moins heurtée.

Qualifié de "rêve économique" par Philippe Brossard, cet environnement de faible inflation et de probabilité de récession quasi nulle s'est appliqué à toutes les économies développées.

Un débat entre économistes sur la nature de cet environnement

Deux écoles de pensée se sont opposées aux Etats-Unis sur cette "grande modération" : l'une considérait que des causes structurelles faisaient de cet environnement un acquis durable ; l'autre que cet environnement était dû au hasard, qu'il ne serait que transitoire et que la volatilité des indicateurs économiques (croissance du PIB et inflation notamment) allait remonter.

30 ans de rendements réels très élevés

Grâce notamment à la très longue période de baisse des taux d'intérêt entre 1982 et 2010 (le taux des emprunts d'Etat américains à 10 ans étant passé de 15% à 3,5%), les actifs financiers ont connu des rendements réels (c'est-à-dire déduction faite de l'inflation) spectaculaires : entre 1980 et 2010, la valeur des actions a été multipliée par 10 (hors inflation), celle des obligations par 5, celle de l'immobilier de bureau par plus de 4, même le monétaire a connu des rendements spectaculaires (x 2,8).

Brossard a rappelé l'importance centrale des obligations dans une allocation d'actifs pendant cette période : grâce à ses rendements positifs et réguliers et à sa faible volatilité, cette classe d'actifs a joué un rôle central dans les allocations d'actifs des investisseurs.

Fin de la grande modération

La crise ayant débuté en 2007 a porté un coup fatal à la théorie d'une grande modération structurelle : le PIB des principales économies a connu des décroissances spectaculaires et l'inflation a successivement touché les bornes extrêmes de sa plage de fluctuation des 30 dernières années, à la hausse en 2005 et à la baisse en 2009, enregistrant une volatilité dont on avait perdu l'habitude.

Brossard semble penser qu'il va nous falloir nous réhabituer à des performances économiques plus instables : les déficits et dettes publics gigantesques des pays dits développés sont une des causes probables de ce retour de la volatilité, et la bulle financière ne s'est pas dégonflée, loin de là, puisqu'un endettement public a dû prendre massivement le relais de l'endettement privé et qu'une réduction trop rapide de cet endettement public serait dévastatrice pour l'économie.

Il se pose en outre la question du retour de l'inflation qui, après quelques trimestres de fort recul, semble repartir à la hausse, avec un rythme annuel de 3% aux Etats-Unis.

Enfin, il pense que les gains en capital sont clairement derrière nous pour les obligations : le principal moteur expliquant les excellentes performances de cette classe d'actifs depuis 30 ans, la baisse des taux d'intérêt, a perdu tout potentiel, les taux d'intérêt étant à un niveau historiquement bas, et sans doute anormalement bas.

Hausse des taux = baisse du cours des obligations existantes, Brossard pronostique que le rendement réel (défalqué de l'inflation) pourrait être limité au rendement des coupons (soit 3,5% de rendement nominal pour les obligations d'Etat à 10 ans moins une inflation à 2%).

Bien entendu, les fonds en euro des contrats d'assurance vie sont concernés au premier chef : leur rendement net d'inflation a beau avoir été très satisfaisant en 2009 (+3,87% en moyenne pour les fonds en euro référencés dans la base de données Quantalys, pour une inflation à 1%, voir ici notre analyse des rendements 2009), 2010 sera beaucoup moins satisfaisante. Tous les assureurs annoncent une poursuite de la baisse des taux et l'inflation pourrait être beaucoup plus élevée.

A situation nouvelle, allocation d'actifs nouvelle

Le président de Macrorama rappelle que sur longue durée, les obligations ne se sont pas toujours bien comportées : l'inflation est leur ennemi mortel et elles ont connu lors de 6 des 11 dernières décennies un rendement réel négatif aux Etats-Unis (source Deutsche Bank).

Il rappelle également que, contrairement aux idées reçues, la volatilité des actions est inférieure à celle des obligations sur longue durée (30 ans), alors que l'espérance de gain de ces mêmes actions est très supérieure à celle des obligations.

Et Brossard de conclure sur les bouleversements induits par la fin de la grande modération en termes d'allocation d'actifs : si ses hypothèses de travail sont exactes (à savoir un rendement annuel réel attendu de 1,50% pour les obligations), le poids des produits de taux dans les allocations d'actifs va décroître considérablement au profit des actifs "réels", permettant notamment une appréciation en capital en cas de reprise de l'inflation : ces actifs réels sont les actifs immobiliers, notamment de bureau, et les obligations indexées, qui bénéficient d'un mécanisme contractuel d'indexation, ainsi que les actions, qui sont représentatives de l'activité économique des sociétés et constituent en général une couverture partielle contre l'inflation.

Il nous semble indéniable que l'âge d'or des obligations touche à sa fin : on peut encore attendre un resserrement des spreads pour certains émetteurs souverains, notamment de pays considérés comme émergents, et dans une moindre mesure sur le crédit, mais la tendance de long terme semble inéluctablement à la hausse des taux, donc à une baisse du cours des obligations existantes.

Quantalys utilise dans ses frontières efficientes des hypothèses de rendement, de risque et de corrélation attendus inchangées depuis 2007. Nous travaillons actuellement à la mise à jour de ces hypothèses pour tenir compte d'un environnement post-crise extrêmement difficile à appréhender.

Philippe Maupas , CFA, CAIA, CIPM, est co-fondateur de Quantalys et éditorialiste.